Le Terrible Châtiment d’un Aède


Ô vierges de Béotie
qui êtes venues baigner
la statue de Pallas
dans les belles eaux de l’Hippocrène,
cette source proche
de la plus haute cime de l’Hélicon
et qui a surgi d’un coup
du sabot de Pégase,
apprenez de mes propres lèvres
la triste histoire du châtiment
que m’infligea la déesse
pour l’avoir vue toute nue,
en train de se baigner
dans ladite fontaine!


En effet, il était midi,
l’heure dangereuse
où les mortels craignent de déranger
la sieste de Pan
et des autres divinités!


Oui, c’était le silence absolu,
celui qui règne d’habitude
à l’heure méridienne,
et en plus on était en été!


J’étais encore dans l’adolescence
et j’avais été chasser sur l’Hélicon
les faons
avec mes lévriers de Sparte!


Aux alentours de midi,
tenaillé par une soif brûlante,
je m’étais approché de la fontaine
et, là, j’ai vu
ô inoubliable Prodige,
ô Coup fatal de la Destinée,
oui, j’ai vu Pallas toute nue!


Oui, j’ai vu les seins
et les flancs de l’auguste déesse!


Les pointes de ses seins
étaient pareilles aux étoiles
qui scintillent la nuit
au-dessus des monts d’Attique!


Et ses seins eux-mêmes
étaient blancs comme le lait d’une brebis
ou d’une jeune mère
qui accoucha pour la première fois!


Ses magnifiques flancs
étaient à la fois singuliers
et extraordinaires
ainsi que des comètes!


Ils étaient veloutés
comme la peau des pêches jaunes
et durs comme le corail!


On dirait une pouliche de pure nacre
se cabrant sous un coup de tonnerre,
cependant que ses pieds
jettent des flammes!


Ils étaient élastiques
comme le pain frais,
soyeux comme le pelage des cygnes
et compacts comme le basalte!


Et alors, la déesse m’apostropha ainsi:
«Ô mortel, tu m’as vue nue!
Jamais le soleil de l’amour
ne se lèvera sur ta jeunesse!»


«Mais, interdit de tout commerce
avec la femme,
tu célébreras pourtant celle-ci
jusqu’à ton dernier soupir
par tes chants immortels!
Vois-y un effet de ma clémence!»


«Car, conformément aux lois
anciennement établies par Cronos-Saturne,
tout mortel qui aura vu
une divinité face-à-face,
mourra!
Or, je te laisse la vie sauve!»


Ô filles de Béotie,
l’image de Pallas-Athéna
va bientôt arriver
sur un char d’or!


Baignez cette statue
dans l’Hippocrène
et parez-la ainsi qu’il convient
à une belle!


Et souvenez-vous
de la tragique histoire
du poète qui vous aime toutes
comme si vous étiez ses maîtresses,
mais à qui vous êtes devenues inaccessibles
par suite du châtiment
infligé par la vénérable déesse!


LA DEESSE AUX MILLE CITES

RECUEIL INEDIT. DU 23 AU 29 JUIN 2008