À Une Dormeuse


Ô Bien-Aimée
qui dors sur la pelouse,
sous un grand pin,
auprès d'une fontaine,
comme sur un lit de plumes,
écoute dans ton rêve
ce chant né de mon désir
pour toi!


C'est que ta chair est aussi tendre
que la rosée de l'été
sur les lauriers-roses,
plus tendre, en tout cas, que le coton
et que les nues dans le ciel
et que la neige fraîche
sur les cimes des montagnes!


Tu es plus chaude, cependant,
qu'une vapeur d'étuve ottomane,
une vapeur qui berce
les jeunes baigneuses turques
et forme une couronne de rêves
sur leurs soyeuses chevelures
épanouies jusqu'à leurs chevilles!


Etendue sur le sable
de la plage d'Aulis,
reçois ce chant
comme un cadeau de noces
de la mer large et souveraine!


Or, si j'aime ton corps,
ô bienheureuse Bien-Aimée,
c'est que j'aime tes hanches d'or,
chacune bonne et pesante,
équivalant à un besant,
comme on appelait dans la vielle France
la monnaie de Byzance!


Apprends, cependant,
ô mon idole de gemmes rares,
apprends pourquoi j'ai cette prédilection
pour tes flancs heureux:
c'est que tous les deux
donnent naissance
à une énorme bague
sertissant l'escarboucle de ta vulve,
dont la pierre est si lumineuse
que dans la nuit
on peut voir, illuminé par elle,
jusqu'à la distance d'une lieue,
tout autour de l'endroit
où l'on se trouve!


Comprends-moi,
si je déclare mon amour
pour ta chair,
ce n'est pas afin de violenter
et d'outrager ton âme naïve!


Pour moi,
tu es une rose
que jamais je ne cueillerai!


Car je préfère toujours la voir
briller virginale
sur les branches du rosier
de l'Esprit!


LES SERVANTES DU SOLEIL

RECUEIL INEDIT. JUIN 2006