Le Procès Pour Excès de Beauté
Le tout Babylone est en émoi
à cause d’une Grecque,
la belle Callirhoé,
plus voluptueuse que la neige
sur les pruniers en fleur
ou que la pluie de pollen
des blancs peupliers
ou que les grappes de raisins
sur les pampres d’Août
et plus nourrissante pour le coeur,
l’âme et l’esprit
que la manne tombant du Ciel
sur la terre de Judée!
Or, elle est coupable
d’être plus belle
qu’Aphrodite elle-même,
celle que les Babyloniens
appellent Ishtart ou Astarté!
Le procès pour sacrilège
en raison d’un excès de beauté
est conduit par le Roy en personne,
soutenu dans son action
par l’Assemblée des Dieux
siégeant sur l’Olympe!
Des orateurs fameux,
à la parole de source jaillissante,
sont les avocats de la défense!
En effet, ils prétendent
que Callirhoé ne saurait être accusée
en raison de sa seule beauté,
puisque elle n’en a tiré
aucun avantage
et qu’elle n’en est pas devenue
pour cela arrogante,
ayant au contraire
gardé une grande simplicité
de manières!
Car telle est la véritable
question morale
soulevée par ce procès célèbre:
une Déesse, voire la Déesse de la Beauté,
peut-elle être inférieure en beauté
à l’une de ses fidèles?
Il en va de même
des oeuvres des poètes:
un aède a-t-il le droit
de chanter plus suavement
qu’Apollon, le Dieu de la Poésie?
Pris en flagrant délit
de composition d’un chef-d’oeuvre,
devra-t-il être condamné
pour outrage à la divinité
ou être déclaré innocent
de la charge d’excès de beauté?
LE SUCRE DE L'AME
RECUEIL INEDIT. DU 17 AU 24 AOUT 2008