Ode à Iphigénie


Terrible fut le combat pour toi,
ô héroïne dont la face brille
dans toutes les directions,
comme une étoile
chue au milieu de la mer Egée,
terrible, disais-je, fut pour toi
le combat singulier
entre Mycènes,
la ville bâtie par les Cyclopes,
et Troie, la ville capitale de la Proche Asie,
oui, la ville principale de l'Anatolie
sur les chemins conduisant
à la Mer noire,
aussi importante que devait être un jour
Constantinople!


Car son empire s'étendait
jusqu'aux frontières de l'Assyrie
et jusqu'au royaume des Amazones
et l'Arménie
et pouvait compter sur le concours armé
des Syriens, voire des Ethiopiens,
ces guerriers basanés et valeureux!


Les Grecs avaient réuni une immense flotte
en vue de cette guerre de conquête
autant que d'honneur,
le premier conflit entre Européens et Asiates,
et qui devait culminer
dans la chute de Troie,
événement aussi colossal en son temps
que la chute, deux mille huit cent ans
plus tard,
de Byzance entre les mains des Turcs,
vécue comme une revanche de l'Asie
sur l'Europe longtemps victorieuse!


Mais les vents n'étaient guère propices
à la flotte grecque
rassemblée à Aulis,
les brises elles mêmes s'étaient tues
et la Canicule tourmentait les marins
et les soldats!


Or, un oracle fut prononcé
qui disait que toi, Iphigénie,
la fille du Roy de Mycènes,
tu devrais être égorgée
en un sacrifice propitiatoire à Artémis,
la Déesse Vierge en colère
contre les Danaens!


Ô jouvencelle héroïque
et pourtant si humaine,
quand tu appris de ta mère
les horribles desseins de ton père bien-aimé
qui portaient sur ton existence même,
tu protestas avec vivacité,
comme une vierge aimant la vie
et abhorrant la mort
et, affolée par le sombre oiseau du malheur,
tu supplias le Roy ton père
de te laisser au bienheureux
royaume des vivants,
afin que tu connaisses, toi aussi,
l'hymen,
qui ne laisse indifférente
aucune jeune fille!


Mais quand tu compris
que la Grèce entière
réclamait ta mort
afin que les vents se lèvent
et que l'hostilité des Dieux
soit levée,
alors tu préféras de toi-même,
et sans que l'on soit obligé
de te traîner par les cheveux
jusqu'à l'autel du sacrifice,
oui, tu préféras mourir,
devenant ainsi
la Lumière immarcescible de la Grèce,
la Libératrice à jamais des Hellènes
et la véritable Conquérante de l'Ilion!


Oui, au lieu de te donner
à un homme,
tu te donnas à la Grèce,
allant jusqu'à t'immoler
pour qu'elle vive glorieuse
et dans l'honneur!


Et le Poète dit
que quand le coup d'épée du sacrificateur
eut résonné,
on ne vit à ta place
qu'une grande biche,
d'une beauté éblouissante
et dont les flots de sang
ruisselaient sur l'autel!


Sans doute, la Déesse farouche
te convoqua dans les Cieux,
auprès d'Elle,
afin que tu vives pour toujours
ainsi qu'une demi-déesse immortelle!


Car elle préféra
le sang d'une biche magnifique
à ton sang généreux de princesse
chantée par tous les Aèdes
et par tous les Tragiques!


Ô Reine des anges
et Souveraine d'une Mycènes métaphysique,
comme ton sacrifice semble inutile
par ces temps où la Valeur est calomniée,
voire traînée dans la boue!


Viendront, cependant, des siècles nouveaux
où la vaillance remontera
au firmament resplendissant
des humaines valeurs
et où la Grèce,
revenue de ses terribles errements,
te rendra,
ô ma divine princesse,
Argienne au corps d'argent,
à nouveau les honneurs!


LES SERVANTES DU SOLEIL

RECUEIL INEDIT. JUIN 2006