Hymne à la Beauté
Ô coquette
qui souris à ton miroir,
j'aime à la folie ta croupe toute blanche
et quasi-immatérielle
comme les blancs cygnes
nageant et chantant dans le Rhin,
comme les plumes déployées
d'un gypaète,
comme la poitrine des mouettes
qui se tiennent sur les rocs
des rivages du golfe Saronique
ou qui rasent les flots azurés
en haute mer
et comme, enfin, ces vapeurs diffuses,
annonciatrices des orages d'été!
Car elle renferme dans ses profondeurs
l'écarlate rose de ta vulve
qui se nourrit du sang de mon coeur,
cependant que le piment rouge de ta bouche
éveille le sang de mon esprit,
sous un ciel de myosotis
et dans un air sentant bon
le basilic et la menthe!
Quand je te vois passer,
ô majestueuse brune,
je rêve de te suivre
au soleil d'or
et dans l'amour verte,
tel un oiseau,
captif, cependant, de ce grand peuplier blanc
qui ombrage ma table
dans la taverne où se rassemblent les beautés
qui tant m'affolent
que je souhaite qu'elles m'accompagnent
dans l'autre monde!
Et comme un hadji,
d'égrener mon chapelet d'ambre
au seuil des cafés,
cependant que je fume le chibouk
en comptant les jours et les nuits
qui me restent à vivre
auprès des femmes,
dans la joie et la lumière
des bergères de Coysevox
et de la Vénus à la colombe
de Nicolas Coustou,
au jardin des Tuileries
du plus pieux de mes parisiens souvenirs!
Puissions-nous, toujours,
ô belle à la chevelure
et aux yeux châtains,
puissions-nous toujours, disais-je,
sous la tonnelle d'une guinguette,
boire du vin du Rhône
et puissent tes lèvres
être aussi roses toujours
que le Rhône!
Et quand nous serons
tous les deux réunis au Paradis,
les humains visiteront
nos deux tombes jumelles
parées de lierre de Dionysos!
Mais comme, pourtant,
je pleurerai dans l'autre monde
ta hanche splendide,
naguère riche comme les coteaux de Lydie
et lumineuse comme le Pactole d'or!
Maudite soit la sénescence
et maudite soit la mort
qui m'obligeront à renoncer
aux plaisirs si choisis
et si purs
de ton corps rieur et vainqueur!
Car vraiment ta séduction
passe l'entendement,
tant elle est vive,
et voilà pourquoi je m'accroche
à ta parfaite beauté,
comme un sage
et comme un fou
ou comme une abeille
qui butine les fleurs de l'été,
tout en se sachant mortelle!
Ô chaud été,
prépare-moi des ardentes vendanges
où la Belle abandonnera
son sein de Bacchante
à mes caresses dionysiaques!
Ah! Comme tu nous fais souffrir,
ô Beauté,
Reine de ce monde,
oui, comme tu nous fais languir,
nous autres trouvères,
qui relevons du domaine sacré
d'Apollon le Musagète
ou Conducteur des Muses
et de Bacchos Lysios
ou Libérateur,
ces deux frères divins!
Pourtant, il est une chose entre toutes
qui m'accable particulièment:
c'est de savoir que l'univers tourne
plus autour des âmes faibles
et des corps débiles
qu'autour de nous
qui sommes, étrangement,
les vrais vivants!
Sans doute, est-ce là,
la plus mystérieuse énigme
de la vie humaine,
la plus délicate à résoudre!
L'OISELEUR DES FEMMES-NUES
RECUEIL INEDIT. JUIN 2006