Le Poète-Abeille


Dès que je vois une bayadère
aux yeux longs et noirs
et à la croupe large et ronde,
aussitôt me viennent à l’esprit
des images de hautes cimes
réunies à la voûte céleste,
de feuilles d’or de platane,
de pages d’argent d’un oracle écrit,
de duvet de cygne amoureux,
de brise de myrobolans,
d’orage de la passion,
de neige de plumes de cigogne,
de pluie de pétales de roses
et de bruine embaumée d’Avril !


Oui, je suis comme l’abeille ouvrière
qui, dès qu’elle sent
la présence d’une fleur,
aussitôt elle accourt
afin de la butiner,
de se délecter de son nectar !


C’est que, comme l’abeille,
je me prépare de la sorte
à produire du miel,
car c’est là la tâche qui m’incombe
et que la déesse de la beauté
m’a assignée
comme mon suprême devoir,
comme ma dette envers Celle
qui m’a prodigué tant de faveurs
en faisant de moi
le chantre de la femme,
le poète de la Shakti,
l’énergie divine
qui sous-tend le monde !


Or, quand je contemple
une bayadère vêtue d’une gaine de rubis
autour des fesses,
d’un châle de soie bleue
autour des épaules
et d’une couronne de jasmins
sur la tête,
je pense à Gauri,
la déesse blanche
qui représente l’aspect amical,
bienveillant et souriant
de la terrible Kali,
la puissance du Temps inexorable
et la déesse de la Mort
que je dois pourtant me résigner
à invoquer,
ne serait-ce que pour Lui demander merci
ou tout au plus
un sursis de l’inévitable fin !


LE GAI TAUREAU

RECUEIL INEDIT.DU 10 AU 17 OCTOBRE 2008