Le Figuier d’Inde
Rien n’est étranger à ma sagesse,
ni surtout l’amour,
la plus fine de mes maîtresses
et la plus fidèle de mes compagnes !
Oui, rien ne m’est incompréhensible
en ce monde où la haine
prévaut sur la volupté
et l’ennui sur la passion,
et où le dégoût l’emporte
sur la joie de toucher et de goûter,
et les choses inodores, incolores et insipides
sur les parfums, les couleurs et les saveurs !
Ô plus belle que le ciel
après l’orage,
tu es cette plage d’où l’on voit
le soleil naître à l’Orient
et, en tant que telle,
tu es la mère
de toutes les vertus aurorales !
Or, dès l’aurore,
je me comporte comme l’abeille
qui tourne autour du calice de la rose,
sans pouvoir la quitter !
Oui, ivre de beauté,
je ne cesse de caresser
la coupe parfumée
qui contient le nectar de ma Bien-Aimée
et qui n’est autre que sa gorge,
plus recourbée que le croissant
de la nouvelle lune
et plus blanche que le soleil de midi !
Et l’on s’étonne autour de moi
de la constance, de la continuité
et de la cohérence de mon énergie
portée vers le chant, le poème lyrique
et l’éloge de l’Adorée !
Autant s’étonner
que les coursiers d’or
qui emportent le soleil
ne soient jamais au repos
ou que le serpent Ananta
qui, selon la croyance indienne,
porte sur son dos la terre,
ne se fatigue jamais
de le faire!
Vâyou, le dieu hindou du vent,
cesse-t-il, ne serait-ce qu’un seul instant,
oui, cesse-t-il de faire sentir son haleine
sur la terre,
voire sur le vaste univers ?
Or, le poète est un peu
comme l’homme d’état
attaché au bien public :
jamais il ne ménage sa peine,
jamais il ne se ménage !
Oui, le trouvère est comme le figuier d’Inde
sous lequel le Bouddha
connut l’illumination !
En effet, cet arbre aux baies savoureuses
n’hésite point à s’exposer
aux rayons ardents
du soleil implacable des Indes !
Peu lui importe sa souffrance apparente,
puisque les promeneurs
peuvent jouir en paix
de son ombre,
voire se renverser
sous son feuillage
et rêver à l’infini !
L'ABEILLE-SOLEIL
RECUEIL INEDIT. DU 14 AU 19 FEVRIER 2009