À Une Reine d'Utopie


Retirons-nous, ô belle dame,
qui vous vous devez à l'amour
comme Cypris se doit à Bacchos,
oui, retirons-nous
en un lieu paisible et isolé,
où nous ne serons distraits
que par le son de l'eau
dans les canaux d'un parc
pareil aux jardins de Grenade,
que par le bruit des fontaines turques,
que par les couleurs des prés d'Aonie!


C'est que vous êtes le soleil
qui sourit aux blessés
après une victoire
sur le champ de l'honneur
et vous êtes le printemps
qui fait s'épanouir ceux
qu'hier encore n'étaient
que des convalescents
en leur rendant justice
de s'être battus
pour le triomphe de la beauté!


Saluons ici la race
qui a combattu pour Hélène-Séléné-Lune,
la plus belle des divinités
de ce monde!


Saluons les héros
qui sous les murs d'Ilion
se sont distingués
à la longue guerre de Troie,
au milieu de querelles
pour la préséance
et des tumultes sanglants
des batailles!


En notre lieu de retraite,
ô dame qui êtes l'incarnation
de la Mère des Amours,
oui, en notre lieu d'étude
dans la joie et la paix,
je ne désirerai plus autre chose
que vous contempler
et quand même je serais aveugle
comme Homère,
je me contenterais d'entendre
les inflexions cristallines
de votre voix de jouvencelle
au gosier de rossignol de Mai!


Oui, vivons désormais,
ô dame étrangère à toute laideur,
vivons dans notre Utopie
pareille à une île flottante
au milieu du Nil ou du Gange
ou du Mékong!


Et que, dorénavant,
notre vie, Madame,
coule comme un long
fleuve tranquille
vers la mer heureuse!


Car aucun autre pays au monde
ne me retient,
ô Reine de mon île flottante,
que l'immense pays
où vous êtes,
infiniment grande
et belle à jamais!


L'EMBARQUEMENT POUR CYTHERE

RECUEIL INEDIT. OCTOBRE 2006