Âme de Guitare


Ô beau flamant
qui hantes mon sein,
je ne vis en Europe
où ma jeunesse est restée sans fruit
et où je n’ai personne dans ma détresse
à qui clamer justice,
oui, je ne vis dans les contrées du Nord
que de penser au plaisir avec toi,
là-bas, à Madurai
où se dresse le plus beau temple du monde,
le temple des mille dieux,
apothéose de l’art dionysiaque,
et où le dieu Shiva en personne,
roulant de fureur ses prunelles
après tant de colères accumulées,
terrasse l’Hydre de la Décadence
aux cent mille têtes !


Non loin de cette cité sainte,
tu possèdes un magnifique palais
de marbre rose,
chef-d’oeuvre de l’art indien,
où tu habites comme dans un aquarium,
tant il y a de terrasses vitrées,
oui, tu y habites comme dans un lac artificiel,
pareille à un lotus
entouré de poissons rouges !


Ô toi qui clouas dans mon coeur
les cinq flèches de Kama,
l’Eros hindou,
plutôt mourir
que vivre séparé de toi,
avec un corps devenu inutile !


Hélas ! Je ne considère tous mes hymnes,
tous mes cantiques,
que comme de vaines offrandes
sur l’autel des Titans !


Oui, dans l’ardente brûlure
de ton absence,
mes odes deviennent superflues,
un fardeau que je ne peux porter !


Or, je ne cesse de songer à toi
qui vis dans un château,
seulement voilée,
à la différence des princesses mogholes,
de ta peau
et de ta chevelure,
étendue au-dessus de ta tête
comme un tapis d’Orient,
riche en figures de gazelles
qui ont emprunté la beauté
de leurs yeux
à la beauté de tes yeux à toi !


Dans un de mes rêves,
de ces rêves qui reviennent fréquemment,
tu apparais lumineuse comme la pleine lune,
à moitié allongée
sur un lit de plumes de perroquet,
les yeux mi-clos de volupté,
la hanche pâmée, largement étalée
sur un couvre-lit de satin nippon,
une coupe de vin dans la main droite,
dont tu me fais boire
après toi,
en signe de fiançailles
entre moi et toi !


Et ton collier d’émeraudes afghanes
de danser sur ta gorge qui halète
et où bat ton coeur à grands coups
précipités,
car tu es submergée
d’un océan de passion !


Ô vous, déesses de la beauté indienne,
et toi, Cupidon hindou,
puisse mon rêve d’amour
être béni par vous
en se réalisant,
et puissé-je moi-même
donner un beau soir de printemps
à mon adorée
le plaisir qu’elle mérite
de par son corps,
beau comme un luth,
de par son âme,
belle comme une guitare !


LE CHATEAU DES DESIRS

PUBLIE PAR ENCRES VIVES. COLL. LIEU. SEPTEMBRE 2009