Le Portrait Céruléen

À une époque
où l'on se complait
à faire l'inventaire de ses propres richesses
plutôt qu'à tracer le portrait de son âme,
le portrait que je dresse présentement
de la fille de mon coeur
paraîtrait cocasse,
voire burlesque,
si je n'y apportais des audaces
dignes des audaces inouïes
d'un Eumare d'Athènes
ou d'un Polygnote de Thassos,
ces illustres, en leur temps,
fondateurs de la peinture européenne!


En effet, j'y fais transparaître
le corps tout entier de la femme,
contrairement à la manière de mes prédécesseurs
qui le dissimulaient aux yeux indiscrets!


Et, en même temps,
à grands traits
d'ocre rouge de Sinope,
j'y montre l'âme
qui habite ce corps
où la hanche,
dessinée à l'éléphantium,
c'est-à-dire à l'ivoire brûlé,
est extensible comme le coeur,
et s'accorde en tout avec lui
et l'épouse même
par le rythme oscillatoire
de son mouvement ample!


Avec le blanc de céruse,
je peins le visage de ma Bien-Aimée,
qui semble fait d'écume de mer
mélangée avec du limon de rivière,
tant qu'on y trouve
même ces petits coquillages
que sont ses fines lèvres
ou ses délicates oreilles!


Quant à son sein,
j'applique sur le volume
qui est censé le représenter,
de l'azurite bleue d'Arménie,
additionnée de la malachite verte,
en signe de sublimité!


Et, par un tison embrasé,
j'éprouve ses cheveux bleu indigo
qui, touchés par le feu,
exhalent une flamme de pourpre pure
et une fumée aux senteurs marines!


Je peins ce portrait en pied
de la si noble dame
sur fond céruléen,
de manière à symboliser
la profondeur de son regard
qui contient toutes les couches
du vaste Ciel,
par-delà les nues,
au-delà des étoiles!

PRUNELLES DE MALACHITE

RECUEIL INEDIT. NOVEMBRE 2006