L’Embarquement pour les Indes


En coupant à travers les oliviers
aux grandes ailes d’argent
battant les airs,
je suis arrivé au port
où m’attend le bateau de ligne
en partance pour les Indes
qui lèvera l’ancre
à huit heures du soir,
quand le soleil se noiera
dans les eaux bleues !


C’est de là que t’écris
ces quelques mots de tendresse,
destinées à calmer
une inquiétude justifiée !


Ces mots ou ces paroles
viennent de bien plus loin
que mon coeur :
Ils viennent de Sarasvati,
la Déesse de l’Éloquence,
de l’Éternité qui sous-tend la Parole
et de l’âme même du monde !


Ô Très Chère,
qu’importe si je n’ai jamais vu
avec les yeux de mon corps
les mille jardins
et les trois mille palais de marbre
que je chante dans mes odes,
toutes destinées à toi ?


Oui, qu’importe la réalité,
puisque Parvati,
la femme de Shiva,
s’est incarnée sous tes traits
plus beaux , plus sculptés
que les traits d’aucune autre femme
rencontrée dans le passé ?


Or, peu importe si je n’ai jamais
vu de près
les statues couchées du Bouddha,
faites de feuilles d’or
ingénieusement superposées,
puisque, quand tu es couchée
dans mon giron,
tu sembles la Mère de Siddhartâ
qui repose sur mon coeur !


Et, quand je meurs de soif,
tout seul dans mon pays
qui, malgré ses arbres,
n’est qu’un désert,
oui, quand je meurs de soif,
entouré de filles
pareilles à des roses sans arôme
ou à des oiseaux sans chansons,
il suffit que je songe à toi
pour que je me croie aussitôt
transporté à la fontaine
de ton village indien
où tu viens chercher l’eau
avec une urne
plus ancienne que tes aïeux,
et plus précieuse
que tous les objets
dont s’enorgueillissent
la brutale Amérique
et la cruelle Europe !


NYMPHEAS GEANTS

RECUEIL INEDIT. DU 13 AU 21 AOUT 2009