Pour un Supplément de Plaisir


J’avoue que, malgré que je sois trouvère
par vocation religieuse,
mes vers sont les subtiles flatteries
grâce auxquelles je dérobe aux belles
leurs faveurs,
et mes images poétiques
les plus hardies
sont les doux, les charmants sourires
qu’un jeune dieu amoureux
adresse à la nymphe
qui est son amante :
Elles ne servent qu’à obtenir
que mon apsara aimée
desserre quelque peu
la ceinture d’or, d’argent,
de rubis et des saphirs
qui tient captives ses hanches
dont le volume et l’éclat
demeurent grands
sous le tissu de satin blanc
de son pantalon moulant !


Et de prendre ma nymphe ballerine
aux cheveux
et de la baiser sur les lèvres !
Et elle de me caresser
les bras et les pieds
et de former avec moi un couple
pour lequel elle donnerait sa vie,
voire plus que sa vie :
Son âme immortelle !


Ô gens honnêtes, sachez que,
en une ville perdue d’Occident,
il y de cela plusieurs lustres,
j’ai été, pendant presque une année,
le sentiment d’amour
qui s’incarne au printemps :
J’ai été un dieu de l’amour,
un avatar de Vishnou le Sauveur,
Krishna le Berger,
celui dont la flûte aux accents suaves
suscite la fête amoureuse
et déclenche la folie érotique
la plus effrénée, la plus lascive
et la plus lubrique !


Et je me promenais, en ces temps-là,
dans les jardins langoureux,
avec pour couvre-chef
une brassée de glaïeuls
et d’autres fleurs multicolores,,
cependant que les jouvencelles
à qui j’adressais la parole
me lançaient, de leurs sourcils jolis,
des oeillades passionnées
qui partaient du coin des yeux !


Mais, contrairement au dieu hindou
de la légende vishnouite,
la longue bouderie de ma Bien-Aimée
et les quolibets des rustres
ont eu vite raison
de cette explosion sentimentale et baroque
en pleine saison industrielle,
ou en plein âge de fer,
comme disent les Hindous !


Or, je suis désormais d’avis
qu’il n’y a pas lieu
de plaisanter avec la barbarie
et que la meilleure chose
que nous puissions faire
en ce moment si délicat
de l’histoire du genre humain,
c’est de nous adonner
à la volupté des beaux vers
et aux jeux de l’amour,
en compensant de la sorte
le désagrément que nous retirons
du spectacle du monde actuel,
par un supplément de plaisir,
pourvu que ce plaisir
ait valeur universelle,
en nous conduisant vers une générosité totale
et une humanité torrentielle !


LA RIVIERE ET LA MER

RECUEIL INEDIT.DU 22 AU 29 AOUT 2009