Le Mort d’Amour


Ceux qui écouteront ces hymnes
se demanderont peut-être,
si j’aime plus l’Amour
dans l’abstrait
plutôt qu’incarné dans un être !


Or, aimer à aimer,
aimer l’amour,
n’est-ce pas là ce qu’enseigne
le plus grand des sages,
Ibn Arabi de Murcie ?


Et on me reprochera peut-être,
de trop désirer, de trop aimer,
d’aimer de façon effrénée,
pathétique, voire passionnée,
en tout cas de manière exagérée,
par trop lyrique,
par trop peu policée !


Or, je répondrai à mes censeurs éventuels
en citant Muslim Ibn Al-Walîd,
celui qu’on surnomme
« la proie des jolies femmes », :
« C’est ainsi que se veut l’Amour,
sans frein et fort peu sage ! »


En effet, ne donnerais-je pas ma vie
à la femme qui me donnera la sienne ?


Ô Marisol, ma Bien-Aimée,
ô toi dont le nom païen est
la pleine lune de Grenade
qui me câline quand je dors
et le soleil de Ségovie
dont le lever me vivifie,
ô toi dont le corps jeune et gracieux
était pareil à un fin rameau
surgi sur le sable mouvant
de tes hanches,
tu as planté dans mon coeur
un rameau de saule
qui, vivant, ne cesse de reverdir
en te ramenant dans ma mémoire !


On me reprochera peut-être,
d’être trop bien portant
pour un aussi passionné amant,
de trop me délecter de raisin noir d’Espagne
et des meilleurs vins
de la vallée du Douro !


Or, si mon corps ne s’est que peu ressenti
des effets d’un si fervent désir,
c’est que mon âme, source de montagne,
jardin épanoui et palais de l’Alhambra
de mon amour,
a caché cette dernière à mon corps !
Car que lui resterait-il de santé,
s’il apprenait l’existence
dans mon coeur d’une passion
aussi destructrice, aussi suicidaire ?


À ceux qui pensent que j’abuse
dans mes hymnes
et dans ma vie
d’un thème usé comme l’Amour,
je répondrai que ce thème est éternel
comme la multiplicité des mondes
que l’Amour régit
et comme le feu qui embrase la terre
en son centre !


Peut-être trouvera-t-on aussi
que je suis trop indiscret comme amant !
Or, l’amant véritable
constamment se dénonce au soleil,
à la lune, aux étoiles, au vent,
aux arbres et aux rochers !


Non, aucun des amants qui m’ont précédé,
j’entends les amants réels
et non les personnages de fiction,
oui, aucun amant n’a été aussi loin
dans son désir que moi
qui perdis la raison, à cause de ma passion,
m’estimant trompé par la destinée !


Qui, en effet, s’est-il précipité, comme moi,
des tours de l’Alhambra
dans le vide,
et qui s’est-il jeté, comme moi,
de l’alcazar de Séville
dans les eaux du Guadalquivir
que le couchant dorait ?


PHARES D'ESPAGNE

RECUEIL INEDIT. DU 07 AU 14 SEPTEMBRE 2009