La Jacinthe de Mai


Alors qu'une dame tant soit peu distinguée
devrait être une jarre de Koutayeh
porteuse de vin de Cappadoce
doux et vermeil,
la femme dite moderne
ou prétendue telle,
ayant doublement, par le geste et la parole,
d'ailleurs inexistants,
failli à son amoureuse mission,
n'est plus qu'une urne marocaine
contenant de l'eau saumâtre
qui manifestement ne peut rafraîchir
les lèvres du voyageur
assoiffé de vie!


Et alors que, en tant que seul trouvère
dans cette contrée,
toutes les alcôves
habitées par des dames
devraient m'être ouvertes,
je suis obligé de camper,
comme un général en guenilles,
aux portes de cette cité
présomptueuse et outrecuidante,
quoique dépourvue de toute imagination
autre que celle qui a trait
aux trafics les plus obscurs
et les moins intéressants!


Et de passer mon chemin
au milieu de roses
cultivées avec soin
dans une serre de Hollande
et totalement sans parfum,
telles des jeunes filles sans amant!


Partout où me portent mes pas,
je me heurte à des pruniers sans fleurs
et à des oliviers
qui ne donnent guère d'huile!


Partout, je vois posées des cassolettes
où ne brûle aucune essence aromatique
et je suis obligé,
malgré moi,
de goûter à des sorbets sans pulpe,
à des loukoums sans sucre,
à des pêches sans musc,
à des oeillets rouges
sans rosée
et à des poèmes sans saveur!


Et maint jeune homme,
croyant avoir découvert,
pendant une nuit de Mai,
une brune fauvette,
se réveille le lendemain matin
avec, à ses côtés,
un moineau fort laid,
et, en plus, boiteux!


Et maint homme d'âge mûr
croit avoir déniché,
parmi les coquillages modestes du rivage,
une nacre,
alors qu'un aède
n'y reconnaîtrait qu'un humble galet!


Mais toi, ô nectar de toutes les fleurs
et eau de toutes les fontaines d'amour,
tu es un coffret d'ivoire
aux fines ciselures!


Et tu jaillis devant mes prunelles éblouies
comme un soleil qui se purgerait
de la matière qui nourrit sa lumière
ou comme l'or
qui, au creuset du désir,
en s'affinant, se dégage de la gangue
qui le recouvre!


Vraiment, jeunes femmes,
mes contemporaines,
qui vous vous imbibez
d'eau de Cologne,
venez que je vous imbibe, à mon tour,
de l'amour que je ressens pour vous,
malgré vos terribles,
vos désastreux défauts,
et laissez-vous vous imprégner
de mes odes
comme une rose s'imprègne
du chant d'un rossignol!


LA COURONNE DE GLYCINES

RECUEIL INEDIT. FEVRIER 2007