À la Femme-Île


Ô toi dont les hanches
ont été tracées à la racine de safran
et dont les seins ont été dessinés
à la pelure de grenade,
tes reins sont les coteaux
de la plus haute espérance
que je n'ai guère dilapidée
en de vaines entreprises,
à la manière d'un prodigue!


Quant à ton ventre,
il est un troupeau de vaches éblouissantes
qui se dorent au soleil du matin
et que, en vacher avisé,
j'emmène paître dans ton pubis,
à l'abondant et tendre gazon,
au pied de la grotte des Nymphes
où Daphnis et Chloé
adorèrent Eros et Pan,
entre le rocher rond
et les eaux courantes!


Et au bout, il y a la mer de ta croupe
qui se brise sur la plage de sable fin
de tes cuisses aphrodisiaques!


Or, une dame dépourvue de large bassin
est comme un port sans embarcadère,
comme une contrée sans accès à la mer
ou comme un désert sans puits!


Cependant, tes aisselles sont
une forêt giboyeuse
où l'on peut à loisir chasser le lièvre
avec une meute de soixante-dix chiens blancs,
ce que, en seigneur du lieu,
je ne néglige point de faire!


Il n'en reste pas moins
que ta face est la vraie cible
de mes flèches amoureuses!
En effet, elle ressemble fort
à l'antique cité de Mytilène
qui était coupée de canaux!


Les canaux sont tes prunelles
et tes dents de givre
qu'enjambent les ponts en pierre polie
de tes sourcils arqués,
de ton nez rose
et de tes lèvres pâles!
Et les lobes profonds de tes oreilles fines
sont le double port de ta cité!


En un mot, t'aimer,
c'est prendre racine dans une contrée
vaste et opulente
comme l'île de Lesbos
dont la capitale est fameuse
à travers les pays et les siècles
et dont la campagne est
non moins fameuse
pour ses oliveraies à perte de vue
et ses vigneraies hautes ou basses
d'où l'on tire un vin
qui coule dans nos gosiers d'ivrognes
comme une mélodie d'amour!


LA COURONNE DE GLYCINES

RECUEIL INEDIT. FEVRIER 2007