La Paradigmatique Aventure
Ta chair, polie comme le marbre du Siam,
éveille en moi le souvenir heureux
des jours anciens où tu étais une Reine Céleste,
assise sur un trône
d'une largeur telle qu'il pouvait contenir
cinq de tes suivantes
et sous un dais de gemmes jaunes et rouges,
cependant que devant toi
les Apsaras exécutaient des danses
aux gestes élégants et lents,
pareils aux gestes de la divine Sita,
quand elle espérait sa délivrance
par son époux, le Dieu Rama!
En ces jours bienheureux,
je venais à ta rencontre
sur un char aux grandes roues d'or,
tiré par six tigresses,
oui, je venais sur un char
que je conduisais moi-même,
debout sous le soleil voilé d'Extrême-Orient,
au milieu de la musique des cors,
mêlée au chant des hirondelles!
Et ton balancement d'aujourd'hui
me suggère la haute époque
du Royaume Khmer
dont les temples étaient des femmes
et les femmes des temples!
Et dans les chignons savants des dames Khmères
perchaient les oiseaux de paradis!
Quand tu te fardes
devant un petit miroir portatif
en forme de main de femme,
je songe aux antiques dynasties solaires
où la profondeur de l'esprit
était redevable de la coquetterie bienséante!
Le va-et-vient aimable
de la foule siamoise
évoque pour moi ton poignant souvenir,
ô toi dont les voiles sont plus vermeils,
plus transparents et plus artistement brodés
que les voiles de la divine princesse Sita,
quand elle vit pour la première fois
son futur époux Rama,
alors que celui-ci était en train
de cueillir des fleurs
dans un jardin d'agrément!
Et de même que les paupières
savamment peintes de Sita
tressaillirent lors du premier échange de regards
entre elle et son futur amant,
de même toi, tu faillis bondir comme une daine
lorsque mon regard s'est posé lourdement
sur tes prunelles de brun velours,
sur ta hanche propice aux combats galants
et sur tes seins, ces royales orchidées
prêtes à offrir leur hospitalité
au papillon aimé!
Or, lorsque nos regards se sont croisés,
la pulsion d'amour instantanément jaillit
en toi,
cependant que, troublée
dans tes entrailles de vierge,
tu baissais les yeux,
ainsi qu'il convient à la décence,
telle que la pratiquent
les races civilisées d'Orient,
cet empire des esprits d'harmonie!
Et, de même que les sages
de cette région du monde
enseignent que l'Art ne doit point déranger
la paix intérieure,
de même notre histoire d'amour
à tous deux
ne dérange pas le regard du philosophe
ou du moraliste,
oui, elle ne dérange pas le regard du trouvère,
tel qu'il se pose sur les îles Andaman!
Ô ma Bien-Aimée,
ce sont tes fines extrémités
qui m'inspirent ce langage
que les barbares d'Occident
ne manqueront pas de fustiger,
tout en s'émerveillant de notre paradigmatique
aventure amoureuse!
CANNE A SUCRE ET MIEL
RECUEIL INEDIT. DU 24 JANVIER AU 02 FEVRIER 2010