Déni d'Amour


Ah! Marisol! Je viens de rêver
que je jouissais de ton corps!
Ainsi, tout au moins en rêve,
la continence la plus stricte
fut remplacée par
les délices les plus voluptueuses,
la plus basse matérialité
par une immatérielle aise,
l'indigence la plus absolue
par la somptuosité la plus exubérante,
les peines infernales et les chagrins
par les plaisirs les plus suaves,
la plus profonde humiliation
par une extraordinaire
et folle apothéose orientale,
l'indignité la plus totale
par la puissance la plus grande,
la plus étendue,
le pur désespoir
par la pure espérance,
la descente dans l'Hadès
par l'ascension dans le ciel azuré,
bref, la misère par la richesse
et la faiblesse sénile
par la force juvénile,
celle même qui poussa Alexandre le Grand
à fonder un empire
où le soleil ne se couchait pas,
selon ses propres paroles!


Qui, sinon un amant sincère et fidèle,
pourrait faire un rêve pareil
où Éros ou Cupidon mêlait,
comme des flèches opposées,
mais toutes tirées de son propre carquois,
ma flamme amoureuse
à la neige et à la glace
de ton indifférence,
voire de ton dédain à mon égard!


Et, dans mon rêve,
et alors que je me retournais dans mon lit,
je me suis écrié,
tel un nouveau Francisco de Quevedo:
"Puisse la Fortune faire en sorte
que je ne dorme point,
tant que je suis amoureux de ma dame,
et que, si je dors en rêvant d'elle,
je ne me réveille point!"


Or, je me suis réveillé
de mon extravagant rêve
en réalisant que,
assoupi et presque mort à ce monde,
j'ai vécu intensément,
en rêvant de jouissances diverses,
mais une fois revenu
à la dure réalité de ma vie,
j'ai retrouvé ce déni d'amour
qu'est ton mépris,
et qui est une autre forme de Mort!


LA GRANDE VENANTE

RECUEIL INEDIT. DU 21 AU 27 MAI 2010