À une Fille du Tage


Ô jeune femme
plus éclatante que les perles de Baharem
et plus opulente que la péninsule de Malacca,
ta croupe est une sphère
que les rayons du soleil et de la lune
traversent de part en part,
en sorte qu'elle est translucide
et visible de partout!


Et ton fondement en est le centre,
plus resplendissant que les diamants du Congo,
plus rouge que les rubis de Ceylan
et plus embrasé que le Brésil
ou que les volcans de Java
ou qu'une cassolette
où brûle l'encens d'Arabie!


Ah! Puissé-je m'emparer de ta croupe,
afin d'en faire le modèle,
oui, le prototype de l'univers,
de cette machine surnaturelle qu'est le monde
et qui, comme ta croupe,
ne commence et ne finit
nulle part!


Ah! Si je m'emparais de tes fesses,
comme je les pétrirais
avec ces mains qui n'ont jamais blessé personne
et qui ont même été la cause de plaisirs intenses
et de délices inouïes,
plus subtiles que les voluptés
d'un dragon de Chine!


Oui, ta hanche de marquise lusitanienne,
née à Evora
et aujourd'hui habitante de Tanger,
ta hanche, disais-je, est le lotus d'or
qui est le but et la fin
de la science taoïste
de toute la sapience chinoise
depuis cinq millénaires
et de tout le savoir
accumulé dans les Védas hindous,
au fil des siècles!


Comme une cascade céleste
tombant du paradis,
ou semblable à un concerto de Vivaldi,
je me répandrai dans ta hanche,
vainqueur du Destin
et victorieux de toi
qui es la plus douce
et la plus verte des collines d'Estrémadure
et la moelle même du Portugal,
de ce Portugal entièrement tourné
vers les cités les plus étincelantes
d'Asie, d'Afrique et d'Amérique,
comme Mombasa, Colombo ou Rio,
et vers les territoires d'outre-mer
riches en épices réjouissantes
et en sel préservateur
des nourritures terrestres!


Oui, tu es l'essence de cette Lusitanie
qui appartient à la Terre Ronde,
plus qu'elle ne s'appartient,
et qui fut le lieu où tout commença
dans l'aventure surhumaine
de la prise de possession du monde,
comme de notre corps,
par notre cerveau d'athlètes de l'esprit!


Regarde la mer bleue!
Ne te rappelle-t-elle pas
l'embouchure bleue du Tage
où est assise Lisbonne
sur un trône fait à la fois
de cristaux de l'Aurore et du Couchant,
et de pierreries du Grand Sud?


Ô Déesse païenne de la Beauté,
permets que je jouisse de l'azur rare
qui dort au fond de ma mémoire,
où Lisbonne occupe la place la première,
la place d'honneur
et l'avant-scène du Théâtre de l'Absolu!


Ô filles du Tage,
mais aussi du Mondego,
ô vous, Naïades sublimes,
chantez le fado du retour de l'aventurier
dans votre giron,
oui, dans votre berceau
où souffle le zéphyr
sans interruption,
le zéphyr porteur de cygnes immaculés,
de ces cygnes blancs
attelés au char de Vénus l'Erycine!


Oui, veuillez m'accueillir
sous ma double qualité
de camoniste et d'éternel amoureux!


LA NEF PORTUGAISE

RECUEIL INEDIT. DU 26 JUIN AU 02 JUILLET 2010