La Brune de Ségovie


Le chant flamboyant
des gitanes brunes
aux voix fastueuses
et aux gestes lyriques,
oui, le chant des brunes gitanes
réveille en moi
le souvenir des rues ensoleillées
de cette cité du Midi,
où, en ce temps-là,
la foule des profanes
tenait le haut du pavé,
oui, le chant gitan réveille en moi
le souvenir des rues ensoleillées
où je me promenais,
couronné de vigne sauvage
et de fleurs des champs tressées,
tout en récitant mentalement
les vers suivants:
"Je porte sur mon coeur ton portrait
comme une amulette
me protégeant de la destinée adverse!
Puissé-je un jour jouir de toi,
comme d'un été brûlant!"


Ces vers n'étaient destinés
qu'à toi, ô ma brune étrangère,
au prénom de Marie
et au nom de Soleil!


Et, avec ton nom sur les lèvres,
je montais et descendais la grand'rue,
comme le capitaine d'une péniche
sillonne la rivière
coulant au coeur d'une ville,
une chanson à la bouche,
tout en tenant fermement le gouvernail
de sa main calleuse de vieux marinier!


De même moi,
j'allais mon chemin
de jeune païen,
ne faisant aucun cas
des badauds
qui m'observaient avec délices!


C'est que tu occupais le centre
de ma pensée,
ô femme à la chevelure
faite de stalactites de jais
et aux cuisses semblables à
des iris de Florence
accablés de soleil!


Or, malgré ton accoutrement moderne
et ta naissance ultramarine,
je ne pouvais m'empêcher
de voir en toi une brune de Ségovie,
de Murcie ou de Grenade,
à l'éventail tenu dans la main droite
et aux yeux de velours noir
andalou,
de ce velours noir
que célèbrent les cantaores
et les cantaoras flamencos,
cependant qu'une danseuse
ou un danseur
frappe le sol de son puissant
talon noir,
tout en faisant sonner
les antiques castagnettes!


Et, malgré les longs cils obscurs
qui ombrageaient tes prunelles,
j'ai pu voir en elles
la naissance d'une passion
qui m'était favorable,
suivie, à quelques semaines de distance,
d'une profonde désamour
à mon égard,
tout cela dû, bien sûr,
à ton inconstance,
ô brune qui fis de moi un fauve royal,
se battant contre les loups gris
et se faisant mordre cruellement
par eux,
sous les huées des vilains
accourus admirer
le spectacle inédit
d'un poète étendu ivre mort
sur le noir pavé de la rue!


LA DAME DE L'ETE

RECUEIL INEDIT. DU 23 AU 28 JUILET 2010