Golconde


Dans la sphère satinée
du Matin,
Golconde saigne,
blonde comme le Soleil!
Son sang coule
jusqu'au cobalt de la mer!


Un grand fleuve
inépuisable
de roses de pourpre
et d'églantines de marbre
teint de rouge
la harpe de l'Immensité,
et entre ses cordes harmonieuses,
si délicates,
imperturbable il charrie
des bougainvillées géantes
de lapis -lazuli,
pareilles pour la taille
à Krishna,
le héros bleu
de l'Amour,
de vastes réaux
de tournesols,
des roupies énormes
d'orchidées sauvages,
des moissons de blé,
des fruits vermeils,
des ruches de cornaline,
des rossignols d'or,
des cigales de feu,
des coucous de brillants,
des faucons d'agate,
des flocons de cygnes,
des albatros d'émeraudes,
des cigognes d'améthystes,
des mainates d'ébène,
des singes d'acajou,
des caprins de platine,
des cochons de diamants,
des béliers d'argent,
des taureaux de cuivre,
sacrifiés mystiquement
à Shiva,
le dieu -taureau,
des chevaux de rubis,
des tigres de topazes,
des lions d'onyx,
des rhytons de daims,
des biches de perles,
des vaches d'albâtre,
voire des courtisanes
de porphyre,
porteuses de candélabres colossaux
en palladium
où s'allument des flammes
de rhodium!


Et le fleuve d'entraîner encore,
dans sa course irrésistible
et grandiose,
des Lunes de bronze,
semblables par la forme
et la couleur
aux hanches fabuleuses
de Laksmi,
l'épouse de Vishnou
et préservatrice,
par sa beauté,
du Cosmos,
des santours
joués par les planètes,
des nuages de Vénus,
des anneaux de Saturne,
des satellites de Jupiter,
des cratères solaires,
des trous galactiques,
des vides de matière,
des cavernes d'éther!


Ô Golconde,
bienheureuse
même dans le malheur,
avec les effluves de tes trésors royaux,
partis en fumée à jamais,
tu n'en finis pas
d'enflammer le Deccan,
cette pierre précieuse
sur le front
du Continent du Bois
de Rose!
C'est que de bonne heure
tu as pris le chemin de Bagdad,
la parfaite géomètre
poétesse et amante,
victime de la folie
d'un prince mongol!

Couchée sur le fleuve
du Destin,
la chevelure défaite,
délaissée par les fleurs
et les abeilles
comme la tête
du Thrace Orphée
jetée dans Hèbre
par les ménades,
tu chantes
un chant désespéré
d'Éros et de Némésis
déesse de la surhumaine
Justice!


Puisse le Printemps
tendre et compatissant
t'apporter la Paix!
Et puisse
Amour grandir de nouveau,
sur tes ruines
abjectes
et glorieuses!


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CHEZ L’AUTEUR. AOUT 1998