Ode À Charles Baudelaire

Ô Astre de France,
né à Saint-Germain des Près,
baptisé à Saint-Sulpice
et reposant à Montparnasse,
féconde cette ode,
rends-la propice à l'élévation!

Ô Epée à double tranchant,
l'un baignant dans la mer ivre
de l'éternité,
l'autre imbibé du poison délectable
du spleen où les âges de fer
mêlent leurs eaux troubles,
portant ton douloureux message
bien au-delà de ton siècle,
partout où l'homme moderne
foule le sable du désert
créé par les meurtriers de Dieu,
de Voltaire à Nietzsche,
et par les Juifs universels,
absents des registres de la judéité,
de Baruch Spinoza à Marcel Proust!

Nul ne fut depuis Montaigne
aussi français et parisien que toi,
car tu poussas la parisianité
au-delà de ses ultimes limites,
au-delà des ciels des tropiques,
jusqu'à cet infini où elle rejoint
l'âme du monde
dont elle est le foyer principal!

Parmi les amants sans nombre
de la Beauté,
tu fus le plus austère
et le plus ardent,
celui qui le mieux nomma
cette terrible déesse,
terme de ton voyage terrestre,
sujet unique de tes exercices spirituels
et qui vivait depuis Platon
dans les eaux stygiennes
et dans les limbes du Léthé!

D'aucuns parmi les plus ternes
de nos contemporains
s'amusent à t'évoquer
sous le nom ridicule de «vieux Baudelaire»!

Or, moi, bien que tu sois mon trisaïeul,
chaque fois qu'une image de jeune fille
vient à passer par mon cervelet,
je pense à toi comme à un jeune confident
et au plus intime de mes amis!

C'est que tu fus le plus grand
des fervents de la femme
et le plus blessé, le plus meurtri
des martyrs de sa face sombre,
ce côté obscur par où elle devient
la Pandore des païens
et l'Ève des religions du Livre,
cause de la chute du genre humain
dans la fange des villes et des villages
et de la malédiction pesant
sur le prince, le poète,
le prophète et le saint!

Tu fus fort et bienheureux,
car tu possédas la plus belle
d'entre les mulâtresses,
tu la vis même, ô victoire exquise,
s'offrir à toi,
vêtue de ses seuls bijoux
à la sonorité éclatante
comme une reine d'Afrique
ou comme une doudou haïtienne
et son bassin et son sexe
n'eurent plus aucun secret pour toi!
Monté sur sa chevelure
comme sur une terrasse de l'île Bourbon,
tu y chantas le goudron,
la noix de coco et tes chers tamarins
en des hymnes parfumés de musique!

Objet de haine et d'amour mêlés,
d'attirance magnétique
et de répulsion extrême,
elle fut celle par qui tu devins
un esclave impuissant,
le forçat de sa funeste galère,
son époux malade,
réduit par ses soins à l'état de squelette,
et bientôt le trépassé,
en allé au paradis
de ceux qui pleurent sur la pauvre terre!

Surmontant avec grandeur
la souffrance, tu fus le plus gai
des martyrs, quoique le plus innocent
des condamnés de Cayenne,
et le plus ironique,
mais le plus savant des amants
de la femme!

Jamais tu ne condamnas ta geôlière
qui fut aussi ta compagne en ce monde
et dans l'autre, ta muse
au rire cruel et joyeux
et ta Madone ibérique!

C'est que jamais tu n'oublias
la rose ivresse que tu connus
dans ses bras
où les vapeurs de l'été
s'alliaient au passage des anges
et où le balcon de l'hôtel Pimodan
prenait son envol vers l'azur vague!

Et toujours tu te souvenais
de l'âtre qui pétrissait son sein
et ses cuisses de fer chauffé à blanc!

C'est pourquoi, tu pris sa défense
et tu l'aimas passionnément,
malgré tes amis méprisants
envers elle!

Et tu la pris pour modèle
de ta statue de la Beauté
que tu sculptas peu à peu,
tout le long de ce mal
dont les fleurs vénéneuses,
mais merveilleuses, devaient
te conduire jeune au tombeau
et à la gloire!

Cette Beauté au regard fixe,
posée devant le mystique
comme un sphinx immortel,
devait à jamais marquer
l'esprit humain
d'une stance de cuivre rouge,
d'un instant d'Or!

FUGUE DE JUMENT

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