Voyage À Cythère


Et les heures de s'écouler,
transparentes comme les eaux
de la mer de Crète
translucides comme les montagnes de diamants
des Indes
et fraîches comme les puits du Yémen!

Tout à coup un cri s'élève
du sein de l'équipage,
repris par la foule des passagers:
on aborde à Cythère!

Les vieux garçons regardent,
extatiques d'espérance
maintes fois cruellement déçue
et maintenant sur le point de renaître!
Les rêveuses aux grands yeux mélancoliques
sont au bord des larmes!

Les cheveux des femmes
tombent sur les belles épaules
comme des vapeurs de topazes d'or
ou des tourbillons d'émeraudes
ou des algues brunes!

On dit que la Déesse
est apparue à une princesse de France,
lui annonçant une romance future,
plusieurs duchesses s'évanouissent,
une marquise de Portugal
revoit en rêve son défunt époux,
et on parle déjà de miracles!

Sur une douce pente de colline
se dresse le temple de Vénus,
perpendiculaire à la nef
et au port où celle-ci mouille!
Des colombes escortent les voyageurs
fraîchement débarqués
jusqu'aux premières colonnes doriques,
peintes en rose céleste,
auroral ou crépusculaire!

Dès qu'on pénètre dans l'enceinte sacrée,
jaillit vers nous, triomphale comme une flamme,
la statue d'Aphrodite,
de grandeur surnaturelle!

Un blanc pigeon est juché
sur la tête de marbre
que le soleil parfume de sel!

Autour de la statue
des Koré dansent en rond,
se tenant par la main,
avec des feuilles de laurier
sur les cheveux
et des palmes peintes sur la poitrine nue!

Des esclaves nous offrent
des gâteaux qui embaument!

La prêtresse principale,
vêtue de blanc immaculé,
nous accueille en nous donnant
des fleurs couleur de sang!

Et déjà aux abords du temple
les voyageurs émerveillés
forment des rondes
ou pique-niquent sur le gazon,
entre les ruisseaux clairs
comme leurs paumes!

Ainsi, un tableau charmant
s'offre à nos yeux stupéfaits
et qui doit rester dans les mémoires,
à l'image d'Aphrodite,
quand elle passe, ô quotidien miracle,
devant nos prunelles,
traversant nos âmes!


FUGUE DE JUMENT

RECUEIL INEDIT