La Jouvencelle de Jadis


J'aurais souhaité
que fût connue du monde actuel
la raison pour laquelle
je célèbre tant la beauté
de ma Bien-Aimée,
telle qu'elle s'est gravée
dans ma mémoire,
il y a de cela quarante ans,
oui, cette beauté
que même un juge
respectueux du sens de mes hymnes
aurait tendance à attribuer plus
à la musique probable de mes vers
ou à la fertilité de mon imagination
qu'à la splendeur lunaire
du visage de mon adorée de naguère,
auréolée par le riche châtaignier
de sa chevelure flottante
et par la pureté immaculée de son front,
rehaussée par le velours noir
de ses prunelles qui fulguraient alors
dans le ciel d'été
et soulignée par la pulpe de sa bouche,
le plus souvent non fardée,
mais parfois teinte de vermillon!


De son corps de jadis,
je retiens la petite taille,
la minceur, la beauté des mains
et la rondeur exquise des fesses,
à peine moins petites, il est vrai,
que de simples pommes!


Hélas! Personne, sauf sa mère,
ne doit se souvenir
de la grâce de ma Bien-Aimée,
car rien ne doit plus subsister
de ses merveilleux cheveux satinés,
de son front chaste,
et la fulgurance même de son brun regard
a dû s'estomper avec les années,
jusqu'à s'évanouir tout à fait!


Hélas! Personne ne se souvient plus
de cette jouvencelle d'autrefois!
Pourtant, elle demeure pour moi
une icône éternelle de la jeunesse
et l'image même de ma propre vigueur de jadis,
reflétée dans les grands yeux de mon aimée!


Et, à l'heure dernière,
je ne me souviendrai, ni de livres,
ni de mes amis, si j'en ai eu,
mais de l'éclat des yeux de ma Bien-Aimée,
seule capable de s'opposer au néant!


Ô mains amicales de mon adorée,
étendez votre fraîcheur
sur ma peau,
afin que je sente votre suavité
qui changea ma destinée,
en faisant de moi,
à jamais,
un poète de l'amour!


AURORE SUR LA MER

RECUEIL INEDIT. DU 15 AU 22 NOVEMBRE 2010