À la Femme-Poupée
Ô ma petite femme-poupée,
ô ma femme-bibelot,
mon oiselle pêcheuse,
petite ballerine de mon âme,
petite perle de mon coeur,
ivoire de mes voeux,
bronze du souvenir,
bonbonnière de ma volupté,
je songe aux heures magnifiques,
quasi-fabuleuses,
que j'aurais pu passer
en ta précieuse compagnie!
Oui, je songe aux heures de musc de Chine,
d'opium de Saïgon
ou de pierreries de Golconde,
oui, je rêve aux heures
qui auraient pu être nôtres!
Je pense aux heures de cocos frais,
de bananes douces,
de pastèques voluptueuses
ou d'ananas fastueux,
toutes choses qu'on aurait pu
savourer à deux!
Et j'appelle les heures
où on aurait pu se donner l'un à l'autre,
oui, les heures de pagodes de Phnom-Penh,
éblouissantes de marbres blancs,
et d'ors étincelants,
et aussi les heures de grands sampans
fendant l'onde smaragdine
des rivières aux berges de fleurs!
Et je pleure et je gémis
de n'avoir pas pu voir, en ta présence,
la pleine lune couleur d'étain
pâlir devant le soleil,
à l'aurore tropicale de Novembre!
Or, je crains que l'heure ultime
ne soit pour moi que l'heure du regret,
oui, du regret de n'avoir pas pu saisir
l'instant favorable, le moment propice,
l'heure divine qui est celle de l'Amour,
de l'union du Yin et du Yang,
comme à l'aube des temps!
Des ruines d'Angor-la-Grande,
j'élève une prière à la Déesse de la Compassion,
afin qu'à ton heure dernière
Elle te visite dans ton rêve
et qu'Elle te raconte la douloureuse histoire
du poète épris de toi,
du temps de ta jeunesse!
Et des rives du Mékong,
je contemple,
à la saison des pluies,
la forêt immergée de banians et de bambous
et je me console de mon chagrin,
en pensant que la saison sèche
n'est pas loin!
LA FEMME-TERRE
RECUEIL INEDIT. DU 04 AU 12 JUIN 2011