L'Incendie De Smyrne
Je me baigne comme le soleil
dans les eaux bleues
du Caïstre, cette rivière
bénie des dieux d'Ionie,
afin d'y laver mon corps
de l'incendie allumé en lui
par les regards, tantôt sombres,
tantôt riants, des femmes
blanches comme la neige
de l'Olympe de Bithynie,
fraîches comme les ruisseaux
qui dévalent les pentes du Tmolos,
et souples comme les cygnes de la lune
dans les lacs du mont Taurus!
C'est que dans leurs yeux,
fendus par les pléiades,
je lis les chansons saphiques
et les odes anacréontiques,
les hymnes de Pindare
et les élégies de Catulle,
ainsi que les poésies de Hafiz,
empreintes de cette mélancolie de l'Orient,
complément de la joie
la plus paradisiaque!
Car dans ces prunelles de femme,
fondées par les caprices du plaisir,
la volupté la plus oisive
se mêle au regret le plus fin,
afin de faire souffrir
les hommes sensibles
aux larmes et aux jeux des vierges!
De même qu'en ce moment où je parle,
tout le golfe de Smyrne
est embrasé par le soleil de Tamerlan,
ma conscience est incendiée
par toutes les fautes humaines,
et par tous les péchés,
et sent, dans sa chair solaire,
les becs refermés sur elle
des oiseaux de proie
et les crocs des loups de Mongolie
et de tous les tigres
et de toutes les tigresses du désert!
Et de même que tous les habitants affolés
de Smyrne sont abandonnés
à leur triste sort
par les galères de Gênes et de Venise
et par les flottes d'Espagne et de France,
en vain j'appelle à mon secours
ma Bien-Aimée dont la hanche
roule bord sur bord
comme un vaisseau amiral
de la Sérénissime République des Doges!
Et, c'est en vain que je gémis
dans sa chevelure pareille au Méandre,
ce fleuve qui laisse couler ses flots
au milieu de la plaine
la plus délicieuse de ce monde
de soupirs, de lamentations
et de pleurs!
Condamné de bonne heure
à la solitude
par un décret mystérieux des Parques,
je me penche sur les bords du Caïstre
afin d'y saisir
l'onde de cette vie qui s'en va
sans retour!
LES CYGNES DE LA LUNE
RECUEIL INEDIT