Coupable d'Aimer


Les épopées guerrières s'accordent mal
avec les accents suaves de ma lyre d'ivoire!


En effet, comment rendre par un luth
aussi doux que le mien
le combat des Centaures et des Lapithes,
les expéditions de Persée,
les exploits de Thésée,
les travaux d'Héraclès,
ainsi que son suicide sur le mont Oeta,
la chute d'Ilion,
les aventures d'Ulysse,
les guerres Médiques,
ou celles entre Athéniens et Spartiates,
et, enfin, les conquêtes d'Alexandre le Grand?


Or, mon inspiration lyrique exige
que je chante plutôt le rire aimable
et le doux langage de mon amante
dont les prunelles ont un éclat plus pur
que les pierres précieuses
et dont la croupe est une grande rose
que j'effeuille de mes doigts,
plus portés à la caresse
qu'au maniement des outils et des armes
ou qu'au rude travail des champs!


En effet, quoi de plus fin
que la grâce avec laquelle
ma Bien-Aimée danse,
les mains entrelacées
avec les mains délicates des vierges,
lors des fêtes d'Artémis?


Oui, je suis de ces sages de Cyrène
qui préfèrent la coquetterie féminine,
apothéose du raffinement le plus exquis,
aux exploits, même les plus extraordinaires,
des guerriers ou des athlètes!


En quoi donc, est-il plus sublime,
voire plus moral,
de transpercer par le fer une poitrine ennemie
que, quand on est une maîtresse,
de se refuser à une caresse par caprice,
afin d'en recevoir plusieurs?
Dans le premier cas, on se rend coupable d'un crime,
dans le second, tout au plus,
on est coupable d'aimer!


CHANTER ET MOURIR

RECUEIL INEDIT. DU 26 NOVEMBRE AU 06 DECEMBRE 2011