À L'Immaculée De Chio


Dans la paume de ma main
de vieux sage,
ta hanche est large
comme la feuille d'un mûrier de Brousse
qui ploie sous la rosée de Mai!

L'ombre qu'elle prodigue à mon âme
suggère l'ombre d'un platane centenaire
de cette même ville antique
où le Carthaginois Hannibal,
hôte du roi Prussias,
se reposa, en des temps fort anciens,
de l'envie de ses concitoyens,
comme moi je m'y repose
de la petitesse
mesquine de mes contemporains!

La chair de tes fesses
forme la muraille blanche de Brousse,
cette capitale grandiose
commandant par sa position
à l'Europe et à l'Asie
et aussi opulente que Constantinople,
arrosée d'un nombre incroyable de ruisseaux
dévalant l'Olympe de Bithynie,
ainsi que d'un torrent écumant,
appelé le Ryndacus!

Comme ta croupe rit
à l'ombre de l'Olympe
ainsi que la belle île de Chio
aux trois villes et aux trois cents villages,
jasmin de l'Archipel,
comme Lesbos, sa rivale,
en est la rose,
et dont la pente douce
descend jusqu'à la mer,
par gradins étagés
et épouse étroitement
le croissant de ta hanche!

Ton pubis en est la forêt
d'arbres à mastic
dont les jeunes filles recueillent
la gomme aromatique
qui sert à parfumer la bouche
des femmes de Smyrne
et de toute l'Hellade!

Et ton coeur en est
une vénérable grenadaie
dont les fleurs sont aussi vermeilles
et aussi ardentes que ton sang
qui, mêlé à mon sang,
devient un brûlot
entre les mains osseuses
de ce vieux marin qu'est Canaris,
brûlot que ce héros
lancera contre le vaisseau amiral
du capitan –pacha,
vengeant ainsi la mort
de tant d'îliens
sous les lances sultanales!


Ô Immaculée de Chio,
sur tes joues où la lune
se joue de l'esprit de sérieux,
et où le soleil sourit d'aise,
je cherche l'oubli
d'une vie de vicissitudes
sous les ciels froids d'Occident,
et j'y poursuis la gloire des peupliers
et l'idéal chevaleresque
des platanes asiates,
ces Quichottes réconciliés
avec le monde
de par la paix suave de la volupté
qui étreint et embrasse
les plus fortunés parmi les amoureux,
ceux dont le nom
est inscrit en lettres d'or
sur le frontispice des poèmes persans!

Et moi, devant le palais d'été
des empereurs de Byzance à Brousse
de chanter ta mémoire,
ô fille délicieuse de l'Egée,
ô demoiselle de Chio
aux prunelles de saphirs,
à la taille de palmier!


TURBAN DE PADISCHAH

RECUEIL INEDIT. AVRIL 2004