La Nuit Indicible


Lorsque tu te coiffes
devant ton miroir Belle-Époque,
penses-tu un peu à nos amours présentes
et à mes yeux bruns
dont le regard te fait frissonner
de volupté?


Penses-tu aussi à notre passé
de pauvres âmes adonnées à la solitude
et hantées des djinns d'une chasteté
non consentie, pareille à un enfant
non désiré de sa mère,
devenue mélancolique?


Ô toi qui es pure comme la pleine lune
et comme le silence nocturne,
te souvient-il de la nuit indicible
où, pour la première fois dans ta vie,
tu devais disposer de ta jeunesse,
vigoureuse comme une jeune jument
dans la splendeur de ses muscles,
oui, te souvient-il de cette nuit
où l'angoisse de l'attente nous étouffait,
avant que je ne t'invite
à la chambre d'amour?


Or, cette nuit-là, tout était paisible
et, cependant que tes yeux me fixaient
de façon énigmatique,
je buvais ta peau à longs coups altérés
qui fouettaient mon plaisir de boire
ta sève d'Africaine,
belle comme un palmiste!


Oh! Comme nous brûlions,
ainsi que deux troncs de pins,
dans un incendie de forêt!
Et, lorsque nous écoutions nos coeurs,
nous pensions que leurs battements
venaient du côté de l'océan,
des coeurs des baleines ou des otaries
ou des dorades royales ou des oursins!
Et ton chant s'élevait,
féerique et pur!


Ah! Vivement qu'une nuit pareille
revienne
et qu'elle me fasse adorer,
à travers ta belle chair,
la Vénus Créole!


SANG NEGRE

EDITIONS ENCRES VIVES. COLL. LIEU. AFRIQUE NOIRE. COMMENTAIRE DE GEORGES FRERIS, PROFESSEUR A L'UNIVERSITE DE SALONIQUE.. 16P. FORMAT A4. SEPTEMBRE 2012.