La Mort De Sapho

Tout Mytilène pleure!
Car elle est morte Sapho la lyrique!
Un torrent de larmes,
charriant des roses déracinées,
dévale la montagne violette,
traverse la ville en deuil,
se jetant dans la mer couleur de lilas
en un irrésistible tourbillon de lamentations!
Car elle est morte
l'améthyste de Lesbos,
elle est morte la nuit précédente,
une nuit d'Avril,
où les jeunes filles pubères
qui tant plaisaient à son corps,
et qui tant fascinaient son âme
et qui tant lui ravissaient son esprit,
souriaient comme Aphrodite la Souriante,
et riaient comme rit Héra,
quand elle repose à côté de Zeus
qui la considère avec stupéfaction,
doux comme un enfant!
Hélas sur nous! Elle est morte
toute seule dans sa couche,
elle dont les chants
disaient la force inexorable d'Eros
et la puissance d'envoûtement
à la disposition de la femme
qui affole le coeur des hommes
et de certaines filles
qui entendent l'amour à la façon de Sapho,
en noyant leur tête
dans un océan de chagrin,
auquel le remède ne se trouve même pas
dans le sang de la vigne,
mais seulement dans le baiser
de la brise marine, si amer,
mais si doux!
Elle est morte Sapho,
une nuit où les rires des adolescentes
se brisaient sur le rivage
en une écume de lunes,
pleine d'algues, de poissons,
de coquillages et d'étoiles de mer!
Hélas! Les Déesses d'Orient
ne marcheront plus sur les galets de la plage,
en reprenant, toutes ensemble,
les chansons de Sapho!
Hélas! Les vaisseaux de l'Hellade
ne ramèneront plus d'Italie
Sapho, leur belle passagère,
Sapho, la belle errante!
Mais ne pleurez plus,
Mytiléniennes au langage d'huile
et aux yeux de thym!
La postérité lui tressera
la plus sublime des légendes
que répéteront à leurs descendants
Alcée le poète et Platon le philosophe,
et que reprendront à leur compte
les poètes d'Occident,
mêlant leur jeune sang
au sang antique de la noble poétesse grecque!
Cependant, en attendant
que cette prophétie se réalise,
mêlez, ô jeunes vierges de Mytilène,
mêlez vos chevelures châtaines
aux cheveux des tamaris,
et riez en souvenir d'elle!
Car, il ne sied point de pleurer
quand un poète s'en va!
C'est que tout le long de son existence,
il ne fait que révéler aux hommes
le secret de la vie,
secret plaisant, s'il en est!

ECRITS DE FEU

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