Invitation au Voyage
Je voudrais voler
avec le voilier dont je suis le capitaine
dans un golfe sublime
du merveilleux Péloponnèse,
entre les plaines de Messénie
et la vallée de l'Eurotas
et, une fois arrivé à destination,
jeter l'ancre dans un havre tranquille
où, bienheureux, j'oublierai
la tyrannie des gratte-ciel,
ces monuments abscons
de la puérile démesure
des races barbares!
Oui, partir en Morée,
tel est mon dessein le plus cher
et le plus fin!
Oui, aller vivre là-bas
dans le luxe de Mycènes,
dans le calme de la mer bleue
et dans la volupté des Immortels!
Car, c'est là-bas,
derrière de très hautes montagnes,
que se situe le royaume d'Edgar Poe,
de Charles Baudelaire et d'Eugène Delacroix,
dans le duché des Paléologues,
l'antique Mistra,
dont les palais et les églises
sont autant de citadelles
de l'esprit d'ordre et de beauté
qui porte sur ses armoiries
l'image de la Reine des Cieux
et de Chrysaor,
Son Fils à l'épée d'or!
Ô petite cité toute blanche,
dont l'horizon est dominé
par la masse fière du Taygète
où dort une biche aux cornes d'or,
la Toute-Belle Taygète
qui donna son nom au mont,
tu es mon indicible joie,
la trêve après la guerre,
mon inexprimable allégresse!
Ô Aspasie de mon âme,
n'est-tu pas ma concubine, ma courtisane,
ma prostituée et mon amie à la fois,
comme la sage Héloïse
le fut pour le superbe Abélard?
Tel Périclès l'Olympien,
je me départirai pour une fois
de mon calme impassible
afin de l'inviter,
ému jusqu'aux larmes,
à ce voyage à deux
dont Baudelaire fixa,
une fois pour toutes,
et la destination
et la navigation à suivre
à la saison brûlante
du lever héliaque de Sirius,
dans la direction du Sud mystique!
LES SERPENTS DU SALUT
RECUEIL INEDIT. JANVIER 2006