Ode aux Femmes de Byzance
Qui que tu sois,
que tu soies Théodora,
l'ex-danseuse et courtisane
ou Théodora, l'impératrice orthodoxe
du culte rétabli des images,
ou Irène, la cruelle Athénienne,
ou Zoé la voluptueuse ou Théophano
ou Irène Doukas ou Anne Dassalène
voir Sophia Paléologhina,
tu es toujours la même impériale personne,
couchée sur un lit d'ivoire
soutenu par quatre paons d'or et d'émail,
au milieu de tentures roses
brodées d'oiseaux de paradis,
et d'une foule de coussins, de lampadaires,
de brasiers de bronze,
de cierges allumés et de vapeurs d'encens,
cependant que, faisant anti-chambre,
les logothètes ou ministres
attendent patiemment
tes ordres
qui seront portés par des becs
d'aigles bicéphales
et enregistrés sur de beaux parchemins
bleus comme les cieux
et larges comme l'Univers
dans les bras de qui
tu te pâmes
comme Byzance dans les bras robustes
des Barbares!
Pourtant, dans tes yeux
couleur de charbon,
brille l'éclat d'un Empire millénaire,
fondé par de graves sénateurs,
des consuls à triple cimier
et des Césars à la toge de pourpre,
et porté à sa naissance
sur les fonts baptismaux
où brûle la volonté de puissance
couvée dans le giron chaud
des louves romaines
et des héroïnes comme Lucrétia!
Et une large part de cette volonté d'airain
bout encore entre tes sourcils relevés
derrière tes cils de jais
et au fond de tes prunelles
d'iconostase mordoré
où, nuit et jour,
luisent les lampes de l'Esprit Saint,
ainsi que des lunes
historiées de Vierges immaculées!
Aujourd'hui encore,
quelque part au fond des cryptes de l'Athos
ou des petites églises byzantines d'Athènes,
le Christ vous pleure
car, quels que fussent vos égarements,
vous êtes emblématiques
d'une grande beauté mystique
de sang, de plaisir et de mort
qui à jamais resplendira
sur notre Europe,
incrustée des pierres précieuses
de votre splendeur plus vive que le soleil,
ô filles perdues, ô gouges,
artistes à votre façon,
faisant honneur à nos nations,
maintenant tombées bien bas!
Et vous laissâtes
sur le sol tourmenté de l'Hellade,
à travers votre mouvement
s'élevant, par une spirale ascensionnelle
de mille volants plissés,
jusqu'au Paradis,
la trace de ces temps
messagers d'un séjour d'extrême félicité
et de la Sur-Nature même
de l'Ame grosse d'amour!
LE YATAGAN DE LA LUNE
RECUEIL INEDIT. JANVIER 2006