Le Rêve d'un Rossignol


J'ai passé toute ma vie
séparé de ce que j'aimais le plus,
que ce soit des villes ou des femmes,
des mers ou des îles, des plaines ou des montagnes,
des dieux ou des déesses, des prêtres ou des prêtresses,
des croyants ou des sages!
Certes, je vis dans mon pays,
mais comme vivent les proscrits, les bannis,
les déportés, les exilés, les séparés, les divorcés!


Toute ma vie se focalise sur un double point d'interrogation:
Puisque je suis né pour l'amour
et que l'amour m'effleura
par une après-midi ensoleillée de Février,
pourquoi vis-je loin de ma Bien-Aimée
et pourquoi l'aigle de la victoire
ne m'a pas toujours apporté
la couronne de laurier de la gloire?
Or, deux sont les mamelles du lyrisme,
l'amour et la gloire!
Né, comme Sophocle, pour l'invincible amour
et l'immarcescible gloire,
pourquoi en ai-je été exclu?


Mon âme porte les stigmates d'une longue pénitence!
Et voilà pourquoi, mes plaintes rejoignent

les plaintes de Hafiz de Chiraz
et des maudits du dix-neuvième siècle!
N'ai-je pas affronté par deux fois la Mort,
comme Gérald de Nerval?
N'ai-je pas été très chrétiennement châtié
pour mes velléités païennes,
comme Arthur Rimbaud?
N'ai-je pas porté sur mes frêles épaules
le fardeau des fautes d'autrui,
comme Charles Baudelaire?
N'ai-je pas éprouvé une volupté dangereuse,
comme Paul Verlaine?


Pourtant, on m'a reproché ma béatitude!
Oui, ce qui n'était que le rêve oriental,
nègre, maori et peau-rouge
d'un rossignol à l'aile brisée,
fut confondu avec le bonheur épais d'un nabab!
Oui, ma nostalgie d'un paradis immanent,
terrestre, d'un Éden qui n'aurait rien d'effrayant,
fut interprétée comme la béatitude
d'un pachyderme de la finance ou d'un dictateur levantin!


Ô dieux de l'espérance,
et vous, déesses de l'amour,
le jour où vous ferez lever ce malentendu,
je ressusciterai de mes cendres,
tel un phénix!


MARISOL-RAYMONDE

RECUEIL INEDIT. DU 09 AU 22 MARS 2014