Le Merveilleux Voyage
Par les mobiles galeries du verbe,
montées sur des ponts de bruyères
à arches meubles
de mouettes claires,
et qui, en s'élevant sans cesse,
s'éloignent et tournent
à l'occident,
j'ai fait la perpétuelle quête
de la poitevine
et aquitaine beauté,
cavalière, aquiline,
éolienne, divine,
de la subtilement,
de la fulguramment,
de la suprêmement
féminine beauté
des filles-bateaux,
à l'ossature souple,
facilement se cambrant,
comme une lame d'acier
sous les plus lourdes
cargaisons d'algues,
quand, conduites
par des équipages
aux moeurs impénétrables,
polygamiques et morganatiques,
éminentes elles passent devant
la levée des Bardes,
depuis l'aube magnifique
éveillés,
toutes faces pascales
déployées avec ostentation,
toutes roues radieuses,
retentissantes,
omnicolores et polymorphes,
développées
jusqu'au point de rupture,
toutes sèves lancinantes,
rebondissantes
et fusantes à vermeille foison!
Ne jurant que par la Diane
des Celtes,
la déesse de galbe ineffable,
la très ombreuse seigneuresse,
aux cils féeriques
sous des paupières lacustres,
aux sourcils imperceptibles
comme les axes des girouettes
très loin apparues,
aux reins de sable indien,
aux hanches uniment
mélodieuses,
foyers ardents de toutes
les révolutions
d'hymnes incendiaires,
aux genoux privilégiés,
panoramiques landes
inhabitées,
clés primatiales des éternités,
j'ai gagné et mené
à bon terme
un temps-destin
aux limites de la certaine
amitié et de la rare clémence,
au service d'une réelle passion,
à travers le don gracieux,
l'universelle exultation
d'intégralement immoler,
et la science de l'harmonie
dansée,
ou danse aquatique de la liberté!
Seul de tous mes contemporains,
et à leur dam permanent,
-tant ils furent inefficients
et malhabiles-,
j'ai, à titre posthume,
fait hommage de ma vie
à la Dame des roses
de jouvence,
l'antique Reine Aliénor!
Au grand pays de son plaisir,
par-delà l'apogée du vent,
aux confins des éclaircies,
le bonheur aux trois mille portes
s'est dressé devant moi,
dans un vacarme épouvantable
et vaste,
comme un irréductible
corindon de la mer,
comme l'intransigeant sommet
d'une tour immortelle!
Avec les lèvres, autant
qu'avec les doigts,
j'ai foulé des siècles
de louanges géantes,
des années de hourras
couleur de citrons éclatants,
des mois fiers et longs
de lévriers d'émail,
des jours lents et graves
d'agrafes augustes,
des minutes consumantes
de peignes solitaires,
précieux jusqu'à l'abus,
en un ultime éclair ravis!
Ascensions de Périgords,
chutes de Normandies,
assomptions de nuages Cantabres,
ô avènements de lauriers
et de myrtes
au front du nouvel amour!
J'ai assisté,
en guise de ramadan premier,
au rite subversif
de l'ouverture des portes
d'almandin,
précédée de la sonnerie
endiablée des délices damnées,
immédiatement suivie
de la cérémonie du salut
aux violons de la justice!
Tout le long des rues
tendues de poils de chameau,
j'ai vu la somptueuse retraite
des léopards d'Anjou,
soutenue sur les côtés
par le galop percutant et aisé
des arcades en armes,
et la cavalcade de minuit
dans le verger des
cinq cent mille
lunes buvantes,
étendu largement
à mes pieds,
entouré des soins de l'immensité!
Et, j'ai, en personne,
participé aux charges répétées
de la cavalerie lombarde
dans la voûte des dix mille
soleils, pleins et en feu!
J'ai été aux tables
du centre du monde
où, comme un écu
qui se dore au feu
d'un lotus incandescent,
cuisent des réaux
de bronze merveilleux,
plus nombreux que
tous les poissons migrants
et que toutes les feuilles mourantes,
passés et futurs,
plus aromatiques
que toutes les chaudes
savanes d'ambre,
et que toutes les chaudes
plaines de musc!
J'ai été aux tables
du mitan du monde,
nourri de myriades
de millions de flûtes,
irrigué de millions
de milliards
d'oranges rayonnantes,
nappé de velours fluide
à profusion,
nanti d'amples entrées
de pourpre ointe,
dirigé par les blondes sénéchales
de miel,
patronnes des artisans
de tiares de plumes!
Aux tables de la flamme-eau
maternelle,
aux tables de la foudre
de la puissance personnelle,
aux tables ombilicales
de la grâce,
aux tables tourbillonnantes
de la prière des flamines,
elles-mêmes issues
des baronnies d'arbres
tourneurs,
aux tables d'expansion
de l'enseignement de totalité,
aux tables de marbre
de la naissance et de l'apanage
indivisibles et prédestinés,
aux dégoulinantes tables
de l'échanson noble
et de l'écuyère splendide,
triple honneur,
décuple gloire!
Aux terrasses très légères,
disposées sur les versants de crème impalpable,
maculée de troupeaux
de marcassins impétueux,
j'ai moi-même mis
les tables solaires
avec des broderies d'héliodores
et des ouvrages de magnificat,
tissés de mes salves
et de vos mains,
ô lutines fiancées de Bellène,
comme les volants et les guimpes,
chers aux faons,
des marquises très hautes
au talon menu!
Marquisats,
guérites de nos cerveaux amoureux,
constellés en le firmament
de nos têtes,
comme des amandes enivrantes,
petites perles de Miéjour!
Par l'infinie guipure
des dards adverses,
par le labyrinthe indestructible
des pincements secrets,
par le jeu d'échecs
des pierreries cachées
et des lueurs flottantes nettes,
par le damier cristallin
et mouvant des affinités,
par le vitrail des maux
et des saveurs,
par les gouttes infimes
de vin de baisers retenus,
par la filigrane variée
des noces de la terre
avec son soleil,
par le vaisseau d'émeraudes
des terres réunies aux astres,
j'ai connu le stupre
de la fécondité et du sommeil,
le stupre de la mort
et de la lumière,
et, guidé par l'alliance ancienne
de la mesure absolue
et du grand vertige,
j'ai réalisé le contrepoint
de l'aérienne modération
et de la flexibilité satanique,
l'une à l'autre
électriquement soudées,
en une arachnéenne algèbre
par l'illumination de la luxure!
Inoubliable cri de ralliement
de notre raison la meilleure
à la bannière du corps
incomparable,
de par le vertical pacte du sang
avec l'esprit abstrait
que, jadis, scella le bûcher
des guitares!
Hécatombe veillée,
au parfum épais de pétrole,
des cricris et des guitares,
houlettes sonnantes
des poètes conducteurs d'hommes,
roulements de cigognes,
larges comme des lieues de mer,
sur l'aire épandue des Espagnes,
tentes mondiales
cousues avec les bastingages amiraux
des armadas en campagne,
mâts de cabestan
enferrant le ciel de plomb,
grosses Cordoues chevauchantes
de la belle concupiscence,
toutes droites tenues,
toutes nues, toutes hautes,
toutes seules,
par les espaces,
orphiques haches frappant
la Grande Ourse,
maîtresses d'armes trahies,
secouant du poids de leur
pieuse colère les remparts
extérieurs de la ville,
courant, comme des fleuves fracassants,
avec des fruits de flamme,
jusqu'à l'embouchure
de la victoire
où, sur des hampes noircies
par les eaux,
flottent leurs triples drapeaux verts!
Que jamais, sous peine
de supplice et d'infamie quintuple,
ne soit éloigné de nous
le gobelet de galanterie!
Qu'on le blasonne, comme il se doit,
de l'as de trèfle rituel,
qu'on l'incruste de nos ovations
et de nos remerciements!
Que jamais ne soit nié
le devoir de reconnaissance
envers la chair régente,
que jamais ne s'éteigne la dette
de naïve admiration,
donjuanesque office, s'il en fût,
et sacrement d'hispanique rite!
Brève invocation du corps incomparable
Chevelures adhérant
à la vase magique de la peau,
comme des montagnes élues,
chevelures aveuglément étales,
nuées dauphines en route
pour le sacre,
charitables navires-lustres
pontificaux présidant
aux festivités de la peau promise,
mieux odorante que cent
très sérénissimes
palais réunis,
blanche et timide
comme l'aurore vaste!
Tresses de cheveux,
ex-voto des amants vainqueurs
aux épreuves de félicité,
butins ramenés des guerres de Sicile
par les mariniers,
trophées et sphères armillaires,
portés dans les séditions
au bout de bâtons rouges,
des républiques lucifériennes,
artimons de frégates bordelaises,
forêts de Nice,
champs pharaoniques de Juin,
fauves fournaises de Novembre,
munificentes passementeries
du crépuscule dispendieux!
Chevelures, lionnes de l'âme,
de l'âme de mystérieuse d'origine,
volant, sous le portique du matin,
entre les piliers de Teutatès
et les hosannas des flots,
dans notre poitrine,
semblable à une Seine
riche, calme et très fumante,
commerçant avec le brouillard
d'or jaune,
embrassé d'argent,
qui la rend chaleureuse
comme une demoiselle japonaise
à la fervente coiffure!
Yeux, fond du golfe de Gênes,
rosée première des fleurs
latérales offertes,
impeccables filtres
du commencement,
tamis de rêve!
Yeux, trempoirs d'Armorique
remplis de Tibériades,
stèles des navigateurs de l'Afrique,
bornes des héros,
coupes des preux de Grande-Bretagne,
gongs de la seigneurie,
holocaustes de lys,
septuples voiles réfléchissants,
où sont enclos tous les sons
de fifre inaudibles
de l'éblouissement!
Cottes de pluie tropicale
et d'huile de paradis confondues,
robes de dessus en faines de diamant
bleu,
chapeaux de châtaignes de topaze,
manteaux fourrés de marrons de jais,
tous alcools d'amour,
plus âpres qu'amers,
et piqués d'une suffocante
douceur,
couleur de taverne faisandée
et de grain de maïs meurtri!
Epaules, côtes de colonnades,
plages de colonnettes!
Flancs parfaits,
mouillés de bleu océanien,
de la trois fois vierge
et démone hostie consacrée
par les princes serviteurs,
comme des Portugals
se levant à l'horizon
avec des ailes de nef-phénix,
enluminés de Galicies
du moyen azur,
comme des chants assemblés,
funèbres et amoureux,
performés avec sa seule haleine
de Sainte Irlande,
la petite matrone, notre poumon,
au ventre de platine fondant,
aux jambes de cygne,
posée, avec la délicatesse
d'une faveur
restant énigmatique,
sur les extrémités de notre souffle,
quand nos torses de granit
pour un moment s'effondrent
dans les baies abyssales!
Dahlias, ô seins,
oeillets d'Inde,
voeux de papillons!
Moulin à quatre-vingt saisons,
argile à aurores,
raisin à royaumes,
clepsydre de la joie,
vase à délires,
fontaine à clavecins,
horloge à lyre,
assiette à violes,
bol à madrigaux,
balcon à sanglots,
croisée à vielles,
vielle à Mexiques,
nacre à sistres,
double Alhambra à luths,
opale du soir
à quatorze étoiles –nénuphars,
réverbère permanent
à cinq tournantes
branches-aubades
basses-andalouses,
double abeille-reine
du cratère de la lumière,
source-mère des daims,
louve assise,
gazelle d'Arabie
couchée sur le côté droit,
bastide-oiseau,
galion de la lune,
Valencia insulaire,
captive de l'ombre
de ses enfants agenouillés,
Carthage robuste,
forgeronne de notre romain désir
le plus terrible,
très onctueux divan
de notre substantielle
jouissance,
métallique haïkaï
de notre dernière finesse,
ancre d'en haut,
ancre d'en bas,
Castel-Île d'Auvergne
île de castel burgonde,
crête d'îlot de Saturne,
îlot de la plus alpestre cime,
château de frémissant orgueil,
arbre-principe de la bienveillance,
mont des cruautés,
cap de la paix,
estaminet du seul vice
d'extase,
boudoir de la braise bacchante,
pâte levante d'Ashtart,
notre superbe donatrice,
la grande Ishtar de notre coeur,
dévorée de fards,
frais émoulu biscuit d'alchimie,
rose de Languedoc et de Ceylan,
toi, gorge plus limonifère
que le Nil,
plus audacieuse
que le Gange débordant,
plus généreuse
que la cathédrale de Séville,
-Séville pure
de notre bouche
séraphique et corybantique-
toi, sein, creuset de mille et cent
parfums de Tyr attisés,
folie à jamais
gitane et syriaque
et hindoue,
bal général,
de profundis soulèvement,
ronde des rondes rebelles de houris,
naufrage à pic
de l'aède enchanté,
volte-catilène où,
par excès de gaîté reçue,
sans pitié précipiter
nos monuments de pierre
les plus frénétiques!
Ô la plus longue rivière
des éthers,
du plus soyeux lignage,
arrivant aux perrons de libellules,
devant les oblongues
fenêtres d'Yseult,
ordonnées par la Néphertite gardienne,
ô les murs parés
de draperies picardes,
les tapis de cerises-soeurs,
les sièges de lambrusque
et de grenades vigoureuses,
les oreillers des nimbes,
bleuis de brises de nard,
les jetées de vapeurs sultanes,
les couvre-pieds luxueux
de digitales esclaves,
cadeaux des doges,
les bains de baume
et d'aphrodisiaques brûlants,
les étreintes persanes royales,
les rayons de pommade d'or
venus des puits perdus,
les lumineuses boiseries
naviguant en la limpidité
du temps béni,
les lits de lait effervescent
placés contre l'âtre de harpes,
sous le bruissant dais
de torchères,
en la chambre de neige vernale!
Fuselez-vous,
noirs étangs de nielle
et de laque,
poème des sols ondoyants
reliés à travers les parois
lustrées des salles
aux donjons de palme capiteuse!
Articulez-vous,
échos de la plus belle
des poulinières de notre
atlantique contrée,
chef-d'oeuvre du choeur sous-marin
des blanches néréides,
mêlées en la prunelle
de midi
au va-et-vient ému
des jeunes épousées!
Passe, ma barque,
dans la fabuleuse veine!
L'écume que tu soulèveras,
ce dithyrambe de sperme,
ce branle de couronnement,
ce circulaire foudroiement
d'Italies,
portera témoignage de ta félicité,
balle de bélier
lancée dans l'aine paladine
des deux Amériques,
alignement inouï
de couples de flambeaux
plantés dans l'entraille
de l'océan du Nord!
Que ta félicité soit l'excuse
de ta chevaleresque sensualité!
Que ta sensualité soit ton idéal,
la très courtoise foulée de l'unité!
Et, pendant que je devise du monde,
elle de le diviser,
la belle Wisigothe,
magistrale et silencieuse
de par la nuit précise,
la transparente nymphe,
impératrice de toutes les nuits!
LE GRAND RETOUR
PUBLIE CHEZ L’AUTEUR EN OCTOBRE 1980