La Grand-Rue
La rue Généreuse,
légère sans excès
et modérément sinueuse,
trop souvent cachée dans les vagues replis
de la Plus Inespérée des Aubes Fastueuses,
et ruisselante encore de ses baumes futurs,
rapidement coule sans heurt entre ses Rivages
comme deux hémisphères d'une Lune de Volupté
percée à jour,
le Rivage Droit habité par des Grandes Formations
de Panaches Jaunes,
le Rivage Gauche mû par les Troupes Sonores,
Volumineuses à l'extrême, des Trompes Bleues!
Se faisant couvrir l'un par l'autre
comme deux âmes d'amants issues d'une Même Couleur
et d'une Poitrine Unique,
ils forment l'ombre Souple sous laquelle les Argonautes
du Cadran Solaire de la Cité
viennent cueillir le Corps el le Sang
d'un Office sans terme qui, étant parvenu
à sa Parfaite Expression,
atteint le Seuil de Liberté
où l'Esprit, toujours fragile,
cesse de dépérir de par lui-même affaibli,
Cette Invitée du Matin,
cette goûteuse d'heures,
cette Hôtesse tant goûtée,
est, cependant, la plus Haute Instance
que le Poète admet à l'extérieur de lui-même,
lui qui pourtant n'a de Religion
que celle qui en propre lui appartient
comme une Liqueur dont le Principe Subtil
aurait été par lui-même élu!
Bien plus Fine qu'Enfer et Paradis Réunis
elle lui est Juge et Suprême Magistrate!
Parler d'elle, la dire, la servir,
elle qui à longueur de journée
n'est qu'Indicible Commencement
de Souverains Domaines,
voilà l'Etoile de ses Buts!
Engagé jusqu'au fond de la Chevelure
dans les Lignes-Reines de la Rue,
appuyé sur le Velours de sa Surface,
plongeant plus que marchant,
il est par elle entraîné
vers la Miraculeuse Allée
aux Arbres chevaleresques,
où les Arbres eux-mêmes
relèvent parfois de l'Importance
Capitale d'une Eruption de Volcan,
où l'Argile est Créateur,
où le Bois est Pain, Braise et Excrément à la fois!
Devenue enfin Avenue Impériale
sise en le Couchant,
elle déploie, sous des Vastes Ardoises,
ses Formes comme des Lettres Libres Inventées
selon les Lois de la Grandeur!
Soumettant à Elles jusqu'à sa propre Nature de Rue,
le Poète opère par Oppositions,
Résistances et Renversements,
opposant ceci à cela,
opposant à la Quiétude Totale l'Ubiquité Absolue
par l'établissement de Ponts Viscéraux Instantanés
entre l'ici et le Là-Bas,
par l'emploi de Flûtes sur fond de Trompettes,
et de Violons couchés sur des lits de Timbales,
rappelant ainsi aux hommes
le Bourdonnement de Guêpe
qui est au coeur de la Réalité,
Surmontant la Contemplation de l'Eternel
par la Science Certaine du Mouvement Serein,
supprimant, tour à tour,
Désert, Mirages du Désert et Paradis,
substituant au Désert l'Infini Noir
des Epaisses Forêts de Matière,
dressant sur l'emplacement des Mirages,
Nouveaux et Anciens,
des Fleurs Géantes, d'une espèce singulière,
par des actes massifs de Fécondation,
ne laissant pas une seule goutte de Terre sans Eau,
non pas pour se désaltérer certes,
mais pour faire jaillir
l'Ecume de cette Eau de Source
qu'est le Destin,
Renverseur de Figures et de Miroirs,
plaçant le bonheur sous la protection
des Hauteurs Inaccessibles des Feuillages de Cime
les plus élevés,
subordonnant le Bonheur lui-même
à la Connaissance des Dédales des Parfums
et des Dimensions de la Beauté Inextricable!
Pour qu'éclate le Conflit
entre Vie Creuse et Vie Brodeuse,
pour que croisse le fossé
entre la Vie conçue
comme une Mer calme
et la Vie qui passe et qui s'enfuit
comme une Ombre de Cheval
jetée sur la Plaine,
comme le Souffle Epique des Machines!
En vue d'une Œuvre aux seins comme des Flambeaux,
aux Flambeaux comme des Seins!
LE SACRIFICE DU SOLEIL
ACHEVE D’IMPRIMER
EN JUIN 1979
SUR LES PRESSES DU CASTELLUM
8, RUE DE BERNE A NIMES.
EDITIONS SAINT-GERMAIN-DES-PRES
110, RUE DU CHERCHE-MIDI-75006-PARIS.