La Croupe Glorieuse
Ta croupe de bénédiction est
fondante comme le beurre,
ferme comme le fer
et souple comme l'acier!
Elle est féconde comme l'Egypte,
glorieuse comme l'Irak,
monumentale comme l'Iran
et brûlante comme le Soudan!
Au centre de sa chaleur torride
s'élève Khartoum,
cité de sultans et d'émirs,
où des Arabes très bruns
s'adonnent au commerce des dattes
qu'ils se procurent dans ta vulve,
cette réserve inépuisable
d'eau et de fruits
parfumés par la prière du Prophète,
que sur Lui soit la paix!
Khartoum reçoit quotidiennement
des milliards de millions
de rayons de soleil,
agréablement tamisés
par ta chevelure
couleur de nuit du désert
aux myriades d'astres étincelants!
Et dans le souk des esclaves
de cette ville fameuse
pour son négoce lucratif,
déambule Arthur Rimbaud,
vêtu d'une robe de satin ouvragé,
tel Haroun al-Rachid,
qu'éternelle soit sa mémoire!
Prodigieuse est la beauté
des esclaves blanches ou noires
qu'on y achète et qu'on y vend:
Elles sont comme la pleine lune du Ramadan,
et, sur leurs joues de roses embaumantes,
se couchent les gazelles
par les aubes d'été,
cependant qu'autour d'elles,
assis en rond,
les marchands racontent
des histoires exemplaires,
tout en buvant
de l'eau aromatisée à l'ambre
dans des tasses d'or
héritées en ligne directe
de Saladin le Victorieux,
celui-là même qui,
du haut de son génie de grand capitaine,
domina des Francs
plus vaillants que les lions,
mais aveuglés par les éclairs
qui s'allumaient dans les yeux
des faucons de Saladin!
Et que dire des gorges
de ces esclaves,
pareilles à l'Etoile du Matin
à son lever,
et de leurs chevilles,
cerclées de turquoises
de l'océan Indien!
Mais leurs hanches,
c'est un miracle
qui ressuscite les morts
et fait naître des arbres
plus beaux que les cocotiers
et que les banyans,
tout en donnant leur nom
aux paons de Perse
et en levant
tout le gibier du Caucase!
Voilà pourquoi,
depuis tant d'années,
je loue ton bassin merveilleux!
Comment, en effet, oublier
le jour miraculeux
où, confiant dans la destinée,
je t'ai achetée au souk de Khartoum
pour mille dinars!
Et toi, as-tu oublié, déjà,
les poèmes que j'ai chantés
sur mon luth,
dignes d'une Califa de harem,
à l'occasion de ta réception chez moi,
et offerts en guise
de rafraîchissements de bienvenue?
Qu'elle était grande alors
ma soif
et qu'elle demeure grande aujourd'hui,
puisque tu ne m'as pas donné
ton fruit, but de tous les désirs,
célestes et terrestres!
Pourtant, je ne désespère pas
de te posséder un jour:
Ce sera par une fraîche matinée
où nous nous éloignerons du rivage,
montés sur un boutre
en bois d'aloès,
et où nous ferons voile
vers la mer Rouge,
cette mer où se consomme
l'adultère de l'Orient avec l'Occident,
et où nous nous unirons
avec, pour témoins,
l'onde et l'air diaphanes!
LE MENESTREL DES CALIFES
RECUEIL INEDIT. JUIN 2004