De l'Art d'Être une Jouvencelle


Il est bien pour une jeune femme
d'avoir, ainsi qu'une babouine
régnant sur les mâles,
la croupe pareille au phare d'Alexandrie
ou, ainsi qu'une pouliche
choisie parmi les plus belles
de celles appartenant à Augias,
de posséder une hanche épanouie
comme une gerbe de blé,
mais il est encore mieux pour elle
de parer sa taille de guêpe
de ceintures de pierres précieuses
avec des agrafes en or
ou en argent,
des ceintures que les hommes
rêveront de dénouer
pour jouir le plus parfaitement
et le plus pleinement
des beautés qui se trouvent enserrées
dans ces écharpes royales
et surtout de la nacre du nombril,
du bosquet, arrosé d'un gent petit ruisseau,
du pubis enguirlandé de violettes
qui sentent le ciel embaumé,
chu sur la terre,
et des roses musquées des fesses
mises en relief
par les pantalons collants
ou dissimulées sous des jupes
enrichies de dentelles
ou de dessins d'oiseaux tropicaux
et de forêts équatoriales
habitées de tigresses
comme les jupes que portent
les Négresses ou les vahinés maories!


Car il ne suffit point
d'être douée de naturelle beauté,
quand même on serait une Déesse!


Il faut ajouter à la beauté spontanée
les sublimités de l'Art
qui doit obligatoirement
polir les dons de la Nature!


Il faut que la jeune femme
porte sur sa tête charmante
de gracieuses aigrettes,
de façon à ce qu'elle ressemble
à une poule huppée de Houdan!


Ou alors, elle doit s'exhiber
avec un chapeau à larges bords,
orné de fleurs naturelles
en l'honneur d'Adonis,
le Dieu de la séduction!


Une jeune femme qui s'aime
doit pouvoir chanter avec grâce,
fraîcheur et subtilité,
mais aussi avec émotion intérieure,
en cultivant le plus possible
sa voix de satin
et en faisant en sorte
que celle-ci évoque l'onde cristalline
d'une source de montagne arcadienne!


Mais quelle ne fasse aucune attention,
quant à l'art du chant,
aux prétentions des modernes
à une laideur intelligente!


Tachez, ô jouvencelles bénies,
de vous comporter en toutes circonstances
comme des authentiques courtisanes
en apprenant l'art antique
des aulétrides ou joueuses de flûtes,
car un banquet de sages ou d'artistes
est toujours agrémenté
de quelque jeu d'instruments
fémininement divin!


Essayez aussi, ô mes chères musiciennes,
d'être bonnes guitaristes
à la manière des Gitanes!


Dansez, ô filles aux pieds légers,
à la façon des cygnes blancs
quand ils courent sur le gazon
ou quand ils prennent leur élan
en s'envolant vers les Tropiques!


Mais j'aime aussi
à vous voir danser lascivement
comme des almées d'Egypte,
avec un balancement du bassin
lent et sonore et de bronze,
comme le bourdon de Notre-Dame
les jours de fête à Paris!


Parlez suavement et discrètement
comme dans un gazouillis de chardonnerets
ou dans une chanson de canaris
ou même comme dans un caquètement
de douces et grasses
poules pondeuses,
tant vos rires gagnent
à être plaisants
et agréables à l'oreille du troubadour!


Si vous vous estimez suffisamment,
et si, en plus, ô mes tendres partenaires,
vous vous croyez femmes de coeur,
lisez beaucoup!


Lisez tous les bons livres galants
et héroïques et romanesques et courtois,
soit en vers, soit en prose,
mais je trouve que les vers
seyent mieux
au papillonnement de vos cils
et à votre tempérament de médiatrices,
voire de pythonisses
et de sibylles!


J'avoue préférer
la compagnie des poétesses
aux yeux à la fois rêveurs et câlins,
à la compagnie de toutes les autres femmes!


Car, c'est alors seulement
que la compagnie féminine
cesse d'être un froid décor
et acquiert toutes les vertus
d'une substance éthérée!


Si vous vous respectez vraiment,
ô belles de rêve,
ô reines de l'âme,
chacun de vos actes,
et chacun de vos gestes
seront inspirés des Trois Grâces
que sont la Sagesse, la Beauté
et la Vaillance!


Voilà pourquoi un poète
aussi appliqué et aussi méticuleux qu'il soit,
aime avant tout
briller de valeur
et rayonner de gloire
à vos yeux, ô filles de l'amour,
mes soeurs adorées,
aux idées de faste et de grandeur!


DENTELLE DES ILES

RECUEIL INEDIT. AVRIL 2005