À la Dame Ombiliquée d'Amour


Tu es venue comme la fraîcheur
d'une petite aube d'été!
Tu es toutes les coupes,
toutes les roses, toutes les cerises,
toutes les citronneraies,
toutes les oliveraies,
tous les châteaux,
tous les bateaux,
toutes les paillettes ou les pépites d'or,
tous les caps,
tous les promontoires,
toutes les péninsules
et toutes les îles fluviales ou marines!


Avant ta venue,
j'avais lancé en vain
des invitations seigneuriales au voyage
à des centaines, voire à des milliers
de jeunes dames,
sans rencontrer l'écho
que me laissaient espérer les rêves
et que me promettait
la lecture des romans antiques!


C'est que toutes mes invitations étaient prises
pour ce qu'elles n'étaient guère,
à savoir des incitations à la débauche,
aux chatouillements voluptueux,
aux gloussements victorieux,
aux caresses capiteuses,
aux langoureux glottismes
et aux commencements de coït
sous la populacière égide
de l'Aphrodite du vulgaire,
celle que Platon appelait
l'Aphrodite Pandémos,
c'est-à-dire celle tout le Démos ou Peuple
et en qui moi je vois
une momie de la Vraie Cythérée
qui est de l'azur incarné,
de la mer engendrée et animée
et de la terre en assomption!


Or, depuis ton avènement
dans mon univers passionné
qui naguère se consumait
sous les feux caniculaires de Sirius,
tu es mon unique rosée,
ma seule bruine printanière,
mon seul ruisselet
et mon unique petite île
accablée de pinèdes smaragdines
à perte de vue,
toute verdoyante sous le soleil égéen,
et où des bergères toutes fraîches
font paître leurs chevreaux
aussi légers que toi,
ô fille née du baiser d'une source
sur les lèvres embrasées
d'une pierre ancienne!


Oui, tu es mon île de Mytilène
où jadis, selon Longus,
s'étaient longuement
et spontanément aimés
Daphnis et Chloé,
avant même d'avoir connaissance
du nom d'Eros
et des choses concernant celui-ci!


Oui, tu es ma Skiathos
verte comme tes prunelles
sous la lune
et où maint ermite
couve l'espérance
à jamais intarissable!


Ton nombril, ô singulière beauté,
première d'entre les jouvencelles,
ô princesse des princesses
et astre des astres,
ton nombril, disais-je,
est l'Omphalos de Delphes,
cet Ombilic de la Terre
et Noyau de l'Univers
et Centre du Monde!


VASE A IVRESSE

RECUEIL INEDIT. JANVIER 2006