Oraison à Dionysos et à Ariane


Ô Iacchus, ô Bacchus,
ô Thyonée, ô Lénée,
ô Dionysos le deux fois né,
ô Zeus Crétagène,
ô toi, l'Oint de Nysadabur
et le Vainqueur du Gange,
Notre Seigneur adoré,
agrée cette prière naïve
et accepte cette oraison double
qui s'adresse aussi bien à Toi
qu'à Ariane, Notre Reine des nuits,
la princesse de Crète
que tu arrachas
aux rivages déserts de Naxos,
alors qu'elle semblait abandonnée
par le sort,
et que tu conduisis du précipice
à la gloire
et de l'abysse à l'apothéose,
sur un char pareil à une lyre d'ivoire
et tiré par des tigresses
aux flancs ensorceleurs
comme les flancs de la fille de Minos!


Ô Ariane, toi dont la toilette
est multicolore comme une peau de panthère
et la hanche aussi souple
que la hanche d'une daine
et aussi spacieuse que celle d'une taure,
toi dont les grands yeux noirs
magnifient la naissance insulaire
et le noble sang minoen,
toi qui m'accables de bonheur
par tes baisers
plus ardents que les voiles
d'un vaisseau ivre,
toi qui es la fleur de ma souvenance
et le lys de ma mémoire,
sois pour moi une Parque favorable
à mes jours,
sois une destinée
marquée par la puissance sereine
et par la force
toujours égale à elle-même!


Ô Ariadné, ma souveraine grecque,
et toi, Dionysos, mon maître indien,
à vous deux
faites que je jouisse librement
des fruits de la vigne
et des veaux sous la mère
comme un innocent et comme un ingénu
qui n'a rien à se reprocher,
si ce n'est une jeunesse désordonnée
et en proie à l'erreur!


Faites, ô mes doux despotes,
pour qui je donnerais
jusqu'à la vie elle-même,
faites que ma table
soit toujours garnie
des mets les plus délicats,
servis sur des faïences rares,
et des rhytons de corne remplis de miel
et des coupes d'améthystes et de diamants
remplies de vin divin!


Accordez-moi, si telle est
votre volonté et votre plaisir,
la persuasion au souffle embaumé
de l'éloquence de Gorgias
avec l'art subtil des sophistes
joint à l'enthousiasme sacré de Platon,
à la poésie de Mantoue,
à la grâce de Cypris,
la Déesse de la courtoisie,
et à la jouvence de Cupidon!


Ô Ariane, ma Déesse,
mon esprit familier,
mon ange et ma Madone,
et toi, Dionysos,
mon maître secret
du gai savoir,
conservez pour moi
l'amour de Calliope
et la faveur de Mnémosyne!


Et faites que toujours je danse
selon les lois
établies par Terpsichore
et que toujours je me réjouisse
sous le ciel d'Euterpe!


Non, je ne suis pas Prométhée,
mais le galant serviteur
de Dionysos et d'Ariane,
ce couple divin
qui donna un sens à ma vie
en me dépouillant
de l'orgueil grossier
de l'homme d'Occident!


LES FILLES DE LA MER

RECUEIL INEDIT. AVRIL 2005