La Femme Sauvage

Si tu te meus avec souplesse et agilité,
ainsi qu'une anguille dans une rivière d'Epire,
quant au mouvement de tes prunelles de velours,
tu es une sorcière extraordinaire,
de celles qu'au Moyen-Âge
on brûlait sur les bûchers
pour hérésie,
et, surtout, pour leur art de plaire,
jugé d'un charme maléfique,
et, en tout cas, excessif!


Ta voix est celle d'une Sirène
de celles qu'Odysseus fuyait,
mais que j'écoute
avec un plaisir extrême
quand je pénètre, à bord d'une nef,
au soir d'été,
dans la baie du Phalère,
près de la cité d'Athéna,
ceinte de violettes
et de thym bleuissant!


Ton sein compact et rond est
la pleine lune de Juillet
et la sueur y brille
comme la rosée que Danaé dépose
sur les fleurs de lin,
prêtes à être moissonnées!


Ta croupe évoque plutôt
la queue et les nageoires pelviennes
d'un grand poisson
et qui le guident et le dirigent
vers le plancton,
à travers la faune sous-marine,
dans les mers chaudes des Tropiques
et de l'Equateur!


Ton nombril est l'équateur
du globe terrestre,
ce lieu où mangues, papayes,
ananas et bananes
nous font baigner
dans le paradis touffu et moelleux
et soyeux
de ta riche crinière
de reine des juments de la nuit d'Août,
de ces juments sauvages
qui naguère mangeaient leurs amants
en les déchiquetant,
une fois que, la fascination de l'amour
étant rompue,
elles cherchaient dorénavant
à diviniser l'instant unique,
mais passé,
où leurs amoureux personnifiaient,
à leurs yeux de femmes sensibles et sensuelles,
la jeunesse, la virilité
et la beauté!


Mues par un profond instinct religieux,
où il entrait beaucoup de magie
et beaucoup de superstition,
elles sacrifiaient leurs anciens amants
afin, pensaient-elles,
ainsi que de vraies
primitives qu'elles étaient,
de les rendre immortels!


Cet acte cannibale
qui consiste à manger
la chair d'un être aimé,
était pour elles
la seule façon de lui rendre les honneurs
d'une authentique apothéose de héros
comme l'apothéose d'Héraclès,
mort sur un bûcher!


Car selon les premiers Hellènes,
la victime, une fois consumée,
acquérait, par sa partie immortelle,
le statut d'une olympienne divinité!


Oui, je te crains,
comme jadis les rois
craignaient leurs Reines lunaires,
et, en même temps,
je suis attiré par toi,
comme par l'aimant
de la Mère Nature,
si terrible et si suave!

JUMENTS DE LA NUIT D'AOUT

RECUEIL INEDIT. MAI 2005