À l'Extraordinaire Bien-Aimée


Ô étrange, ô divine maîtresse,
brune comme Léda,
aux orteils où brillent
les torches d'Artémis,
aux plantes de pieds
pareilles aux fleurs diaprées
qui tapissent au printemps
les prairies d'Arcadie,
aux talons d'Antiope,
aux chevilles de neige idéenne
fraîchement tombée,
aux mollets
pareils aux deux mers de Corinthe,
aux jambes olympiennes,
aux genoux aériens,
chacun pareil au promontoire du Sounion
où l'Attique connaît la gloire,
aux cuisses comme des troncs
de blancs peupliers céphiséens
touchant au ciel du bassin,
à l'aine pareille à l'autel de marbre parien
où j'offre des libations
de miel d'Hymette
et de vin léger et doux de Mytilène,
au ventre lisse
comme une fleur de prunier de Damas
et rond comme la roue
d'un char thébain,
au nombril qui évoque
l'Omphalos de Delphes,
cette protubérance du sol,
située au centre du globe terrestre,
aux flancs bénis de vigne aoûtienne,
chargée de raisins enflammés,
et fertiles comme la campagne de Canope
en Egypte, la terre donnée aux hommes
par Isis,
aux reins d'asphodèles d'Avril,
à la colonne vertébrale
s'élevant par étages
comme un hymne d'Homère,
aux omoplates de froment mûr de Juillet,
aux seins de ce thym
qui rend violettes les montagnes de l'Hellade,
aux aisselles de blancs lilas,
au cou de Pharaonne,
à la nuque d'Aphrodite Cnidienne,
d'une blancheur de colombe érycine,
aux boucles séraphiques
comme des phénix qui battent des ailes
et comme des aigles qui prennent leur envol,
aux très grandes prunelles
de lys cnossiens
formant une ombre miraculeuse,
suspendue au-dessus
du blanc de tes yeux
comme le feuillage d'un basilic du Paradis,
aux paupières pareilles aux myrtes
couronnant la tête des poètes,
aux cils d'Adorée absente,
aux sourcils de lotos libyques,
au front large d'Archère crétoise,
au nez d'ange byzantin,
à la bouche de nuit d'été grec,
aux joues élégantes et tendres
et rouges comme des flamants,
aux oreilles d'ode aurorale
entonnée par Pan,
le psalmiste du matin,
au menton pareil à l'oeuf de cygne
d'où est apparue au monde
Hélène de Sparte,
la fille de Léda,
au profil inspiré
de celui de la Toute-Sainte et Vierge
Théotokos et Pantanassa
ou Mère de Dieu
et Reine de toutes choses,
à l'haleine qui embaume comme Argos,
la ville aux melons
et aux cavales de crocus,
aux doigts de laurier-rose,
aux fines mains chantantes
de claveciniste élisabéthaine
et, enfin, à la démarche
de princesse abyssinienne!


Ô Bien-Aimée à la face d'Impératrice,
je te porte une amour indéfectible
de grand fleuve bleu,
de bonne limoneuse rivière!


Et je te fais présent
à jamais
de l'or né de mon onde alluvionnaire!


Comme Inachos,
je brûle dans mes eaux glacées
pour toi, ô Mélée,
nymphe de Bithynie
aux yeux adornés de roses pourpres
de Phénicie!


Comme le Nil fécond,
c'est à peine si je puis éteindre ma flamme,
ô Evanthée, fille d'Asopos,
oui, c'est à peine
si je puis éteindre ma flamme pour toi
dans mes flots d'origine lointaine
et qui communiquent par sept bouches
avec la mer!


Comme l'Alphée bienveillant,
je te poursuis, ô mon Aréthuse,
et pour toi je traverse la mer Ionienne
jusqu'à la côte de Sicile,
afin de te rejoindre à Syracuse,
la perle de Trinacrie!


Dans mes cothurnes vermeils
de tragédien antique,
je suis Achelôos,
le Roi qui se bat avec Hercule
pour ta possession,
ô belle Déjanire!


Comme le lent Pénée,
je te cache dans les champs de Phtiotide,
copieusement arrosés par mes eaux,
ô Creüsa au nom sonore
comme un roc qu'on lance dans la plaine!


Et, enfin, comme Xanthos,
le fleuve d'Asie,
je suis épris de toi,
ô délicieuse Néera!


Ô marine Bien-Aimée
qui prends des formes multiples
et autant de noms,
dans ton aimable personne
tu résumes toutes les amoureuses!
Tu en es à la fois la Quintessence,
l'Elixir de jeunesse
et l'Eau d'immortalité
qu'en vain, à la suite de Gigamesh
et d'Héraclès,
rechercha Alexandre le Conquérant!


LES FLOTS DE LA PASSION

RECUEIL INEDIT. JUIN 2005