À Une Cavale de Lune


Ô toi, Pleine Lune,
diamant du ciel,
or des roses,
Artémis Sôteira ou Salvatrice,
Hécate magicienne
dont la parole est une archère
aux flèches parfumées de jasmin
et frottées fulguramment
de feuilles de gardénia!


Tu rends mon âme mélodieuse
comme une aubade mozartienne
et profonde comme une nuit
étoilée de milliards d'anémones
qui toutes danseront
autour de ta flamme sacrée!


Toute la nuit
tu chantes comme le rossignol dans le pin
et comme le grillon dans les buissons!


Mais, dès l'aurore,
tu t'élèves dans les espaces olympiens
comme un coursier immaculé
au corps d'une femme aux flancs opulents
et à la tête d'un cheval
porteur d'une crinière bleue-noire,
signe infaillible de ton extraction divine!


Des serpents s'enroulent
autour de tes yeux chevalins
et tu tiens dans ta main gauche un dauphin
et dans ta main droite une colombe!


Ta chair est plus éclatante
que le marbre pentélique
et plus blanche qu'une dent d'hippopotame
ou que la corne précieuse d'une licorne!


Agnès Sorel pourrait être
l'un de tes noms
et sans doute tu t'es incarnée
dans cette maîtresse royale
comme le Dieu des Francs s'est incarné
dans la Sainte Ampoule,
intemporel symbole de la monarchie française
jusque dans ses derniers spasmes!


Pour cette raison tu fus
la prunelle des yeux du Roi de France
et son plus riche trésor
et sans doute tu péris empoisonnée,
victime expiatoire de ta beauté!


Comme ton aînée de trois générations,
Inès de Castro,
aussi pure que toi,
tu fus l'agneau pascal
d'un sacrifice innommable
suggérant plus une messe noire
qu'une Eucharistie!


Oui, tes ennemis cueillirent
le fruit de ta jeunesse
à peine mûri,
et privèrent ainsi la France
d'une Reine aimée de son Roi
et de son temps!


Ainsi s'en vont nos reines,
consumées dans leur chair
et jetées en pâture aux chiens funèbres
qui guettent les meilleures des femmes!


Or, Agnès Sorel ne fut
que l'une de tes métamorphoses,
car ton vrai nom,
c'est bien Despoina ou la Seigneuresse,
et, c'est sous cette épiclèse
que tu étais invoquée dans l'antiquité
par le peuple arcadien,
pour qui tu étais
la fille de Déméter-Cérès
et de Poséidon-Neptune!


Et tu es la cime du mont Lycée
d'où on embrasse du regard
le Péloponnèse entier,
jusqu'à Sparte
et jusqu'au promontoire du Ténare!


Sous le nom de Hagno,
autre nom pour Agnès,
tu es cette source sur le Lycée
d'où les prêtres à ton service
faisaient venir la pluie
à la plaine desséchée
par l'ardeur de l'été!


Ô lune de cavale
et cavale de lune,
sois la guerrière qui me domptera
et la maîtresse qui me soumettra!


Pour que des odes s'envolent
jusqu'au neuvième ciel
où tu sièges
entre Athéna Hippia,
la Protectrice des chevaux,
et Déméter Salvatrice!


L'OLIVIER AU SANG BLEU

RECUEIL INEDIT. AOUT 2005