À Aïna
Ô Aïna, dans tes grands yeux noirs
de blanche gazelle,
si tendre pour ses petits,
il se passe des révoltes de soufis ivres,
la coupe à la main comme une épée,
des séditions sanglantes de marins
et des révolutions terribles de moujiks,
tant la biche s'y unit à la lionne,
la renarde à la tigresse,
la brebis toute jeune à la louve mère,
la pouliche nacrée à la panthère fauve,
la chamelle d'Arabie à l'éléphante d'Afrique,
la scorpionne fébrile
à la femelle du lézard,
si oisive et si pacifique,
la couleuvre d'Europe au cobra de Siam,
l'anguille de la mer Caraïbe
à la truite des torrents pyrénéens,
et, enfin, le lapin blanc d'Espagne
à l'écureuil roux de Russie!
C'est que tu tiens à la fois
de la prostituée aimante
et de la vierge mystérieuse et farouche,
de la sainte musulmane
et de l'idole païenne,
de Mariam et de Fatma,
de Aicha et de Zaïnab,
de l'épouse innocente
et de la concubine clandestine,
de la princesse bédouine
et de l'esclave de harem persan,
de la Grecque et de la Cafrine,
de l'Andalouse et de l'Indienne,
de la Juive et de la Philistine!
Tes noirs sourcils sont parfumés
au jasmin de la pleine lune de Juin
et tes paupières, teintes au khôl céleste,
portent les cicatrices de ton insomnie,
due au mal d'amour!
Quant à tes cils,
ils gardent jalousement, dans leurs carquois,
les flèches du secret prophétique,
m'excitant à aller m'étendre dans la poussière,
devant le seuil de ta demeure,
dans l'espoir d'une oeillade de ta part,
ou d'un geste délicat,
m'invitant à rester,
jusqu'à l'apparition de la Pléiade,
dans l'âme de la nuit profonde
où les amants s'unissent
dans l'alcôve mystique!
Ô Layla, viens étendre tes voiles
sur moi!
Et je te posséderai
des battements de mon coeur
de coucou nippon!
Et je goûterai à ton essence,
pareille à un fruit obscur,
à une noire cerise,
ou à une mûre,
ou à une pomme musquée de Damas,
ou à une prune violette!
JASMINS DE LA PLEINE LUNE
RECUEIL INEDIT. NOVEMBRE 2004