Le Nouvel Anacréon


De même qu'on ne peut compter
les olives des oliviers d'Attique,
ou les oranges des orangers d'Argolide,
ou les raisins des vignes d'Achaïe,
ou les citrons des citronniers de la Messara,
ou les prunes des pruniers de Chine
et du Japon,
on ne peut que très approximativement
rendre compte du nombre exact
de mes amours
qui, en fait, sont innombrables!


Rien qu'à Athènes,
j'en ai connu autant que les jours
de l'année lunaire!


J'en revendique mille trois à Corinthe
où, sous les auspices
de l'Aphrodite d'or,
se réunissent toutes les belles femmes
du Péloponnèse,
sept cents à Sparte
où, depuis Hélène,
vivent les plus éclatantes
des beautés de l'empire!


J'ai couru deux mille amours en Crète
où Eros fait des ravages
et sévit dans chaque coin de rue,
au bord de chaque ruisseau,
dans chaque verger,
sur chaque rivage où se lève Pasiphaé,
semblable à le pleine lune d'été!


Auxquelles amours, il me faut ajouter
celles de Rhodes, de Lesbos,
d'Ionie, de Carie,
sans mentionner mes amours
les plus mémorables,
celles que j'ai cultivées en Syrie,
pays du soleil de midi,
où l'on adore Astarté,
déesse célèbre par ses prodiges,
dans la cité même du soleil,
ou celles que j'ai pratiquées à Cadix,
ville où se trouve le tombeau d'Hercule
que j'espère rejoindre un jour
aux champs Elyséens,
en compagnie d'une adolescente
sur le point de fleurir des roses
de sa quinzième année!


Et, en Inde, aucune des belles,
qui avaient des hanches pesantes
comme des pastèques
et des seins lourds comme des mangues,
ne s'est refusée à mon étreinte!


Car il est de notoriété publique
que les femmes raffinées,
aux belles manières
et de noble éducation,
celles qui ont des talents multiples,
sachant danser ou chanter
en s'accompagnant d'une guitare,
ne peuvent que s'enivrer de mes chants
et m'accorder leur suave intimité,
espérant ainsi
faire épanouir leur âme
sous mon haleine,
semblable au plus doux des zéphyrs,
le zéphyr de l'art de vivre
en aimant!


Or, apparu dans une saison crépusculaire,
je ploie sous la loi d'airain
qui bannit toute joie
autre que la joie anonyme du vulgaire!


Mais, j'ai su contourner cet obstacle,
en recréant dans une langue
qui semblait ne pas s'y offrir,
l'ivresse, telle que l'entendaient
Anacréon, parmi les Grecs,
Omar Khayyâm et Hafiz
parmi les Perses!


LA CARAVANE DU DESIR

RECUEIL INEDIT. NOVEMBRE 2004