Le Poète Du Plaisir


Ô Bien-Aimée à la bouche de mousseline
ou d'organdi,
pour un seul baiser de toi,
je donnerais la terre
et ma vie même!

Pour jouir de ta cuisse ronde,
potelée comme une daurade,
et de ton dos doux au toucher
comme l'hermine,
et fragile comme la dentelle
d'un rosier fleuri,
je crois que je risquerais la géhenne!

Je préférerais être cloué au pilori
ou voué aux génomes,
plutôt que de vivre
sans que mes yeux voient
tes hanches bénies comme des épis!

Regarder ton cou de velours blanc,
cela équivaut pour moi
à apercevoir la Mère de Dieu
en rêve!

Caresser ta joue pâle comme le ciel de Mars
et saisir la forme ovale de ton visage,
vaut bien vivre un printemps de plus!

Car je suis un poète du plaisir!
Toute ma vie je n'ai chanté
que les filles aux tresses noires
et à la peau suave
comme dans une image de médaillon!

Oui, je n'ai fêté que les filles,
le vin de Chiraz et les roses rouges
comme un coucher de soleil à Marrakech!

Nouvel Anacréon,
comme ce poète fameux,
je n'ai jamais célébré
la prise de Troie par les Achéens,
je n'ai jamais chanté Achille
et les autres héros de cette guerre!
Tout au plus, j'ai loué Ulysse
de sa fidélité!

Et si j'ai pleuré,
ce n'est que pour la mort d'Aziyadé,
cette petite circassienne
aimée de Loti!


Je ne suis pas fait pour la guerre,
mais seulement pour les jeux innocents
où le sang n'est pas répandu,
et pour les danses des jeunes
autour des tulipes
pleines de grâce!

Et je chanterai tant que ma coupe
sera pleine de vin,
et tant que mon luth sera bien accordé!
Je suis, en cela, les conseils du vieux Hafiz,
mon maître, qui recommande
de garder la coupe dans la main
pendant tout le Ramadan!

Je suis digne du blâme de ce maître
pour avoir, dans ma jeunesse,
privilégié les joies à venir,
au détriment de la vie présente,
palpitante comme le sein d'une vierge!

Et si j'ai un blâme,
ou une plainte à adresser
aux jeunes filles, qui sont si belles
que, quand je les vois passer,
je gémis,
c'est d'avoir été intraitables avec moi,
et de ne m'avoir concédé
que quelques rares étreintes
parmi les feux de la Saint-Jean
ou les jasmins de l'automne!
Dans le jardin de l'amour,
je n'ai cueilli aucune fleur
et je suis resté sans moisson,
tel un derviche pauvre!

Suis-je pourtant un derviche,
ou un moine chrétien?
Je ne suis qu'un ménestrel
dont la finesse ne suscita aucun écho
parmi mes contemporains,
si indifférents à mon sort!

Hélas! Je n'ai rencontré
que ta narcissique cruauté,
ô Bien-Aimée, digne du coeur
des tulipes!

Ecoute, cependant, ce poème
pareil à une prière de mon âme
à toi qui m'as ravi les sens
et m'a pris l'esprit!

Mais sache que je mourrai heureux
d'avoir été un homme ivre
parmi tant de gens sobres,
et le seul généreux
parmi tant d'avares!


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