L'Aède Îlien


L'amour et la gloire sont
les deux mamelles maternelles
où je tète la félicité,
les deux pis de vache
où je bois la Voie lactée,
les deux boulets de marbre
que je tire de mon canon de désir
contre la chance ennemie,
les deux flèches de diamant
avec lesquelles je perce
les murs de verre
de ce monde muet comme le Sphinx,
ne parlant autrement
que par spasmes de pythonisse,
que par oracles de Sibylle,
surgissant de sa bouche
avec l'écume de mer,
teinte du sang de ses entrailles!

Car la volonté et l'honneur sont
les deux ressorts,
élastiques comme des rameaux de caféier,
de mon âme de corsaire,
s'aventurant sur la côte des Somalis
ou prenant d'assaut la ville de Moka
où pousse l'arbre mystérieux
dont les fruits donnent
une boisson amère et mystique
et dont les fleurs sentent
comme le jasmin!

Ces deux obsessions,
fondues en la seule, en l'unique passion
de vaincre ou de mourir,
font toute ma force
d'homme mûr pour des exploits,
hauts comme des soleils,
larges comme des lunes!

C'est que, après un demi-siècle
de recueillement,
dont est tributaire mon front
ombreux comme un cyprès
et ombrageux comme un vizir,
et après des millénaires de méditation
pesant sur mes yeux
à la mélancolie native,
je rejoins, enfin,
les penseurs de ma race antique
comme l'azur de l'Orient
et comme les vents étésiens du Levant,
ces penseurs et ces héros
qui ne jurent que de jouer
à vie ou à mort
contre la fortune adverse,
car ils sont les esclaves de la liberté
sur la voie qui mène
au puits de l'immortalité!

Or, j'affirme que Pindare est vivant!
Et, en moi, point n'a faibli
la bravoure inspirée
par les ciels sans nuages,
par les montagnes bleuâtres,
par les écueils et les récifs de l'Archipel,
et par les îles des délices
et les cités grandioses
où les humains grandissaient
comme des aigles royaux!

Oui, cet enthousiasme sacré
qui faisait concourir
athlètes et poètes
pour la beauté et la gloire
d'une couronne de laurier
ou d'un rameau d'olivier,
me brûle la poitrine
comme un souffle de feu
et comme le goût âpre
d'un vin de Crète!

Ô ma Bien-Aimée
bénie par ma puissance érotique,
fais-moi les honneurs
comme à ton seigneur,
sers-moi d'abord le café, la pipe
et le sorbet glacé,
aromatisé d'ambre!

Puis, aguerri désormais par l'amertume
et l'âpreté de mille revers,
je te donnerai sur les lèvres,
dont la chair pulpeuse m'appelle
en m'enivrant de ta personne,
un baiser qui confirmera
mes buts de guerrier
et mes espérances d'aède îlien!

Ô Vent de Victoire,
emporte-moi sur tes ailes
de faucon d'or,
et répands, à tes pieds,
l'océan de l'amour,
afin que je le survole
comme une hirondelle d'Egypte,
comme un saphir bleu de Grèce!


LES CYGNES DE LA LUNE

RECUEIL INEDIT