Confession D'Un Poète Moderne


Ô ma Bien-Aimée prolifique
comme les mamelles des vaches indiennes
et noire comme le miel du Guatémala,
si je t'égale à Jésus et au Prophète,
c'est que je porte deux hommes en moi!

En effet, je tiens à la fois
d'un Savonarole ennemi du corps
et d'un Laurent de Médicis
protecteur des artistes,
d'un Léonard de Vinci
qui craindrait les femmes
et d'un Ferhad qui, en Persan héroïque,
mourrait d'amour pour une impératrice Kurde
au visage de pommier en fleurs,
d'un inquisiteur catholique
de la croisade contre les Albigeois
et d'un Parfait cathare,
préférant mourir au bûcher,
plutôt qu'abjurer sa foi,
d'un jésuite espagnol
recourant à la magie
et d'un cartésien français,
fasciné par la Raison!

Je suis à la fois
un héritier des troubadours de Provence
et même des trouvères d'Île-de-France
et d'Allemagne
et un descendant de Hafiz,
vivant pour le vin
et pour la femme!

Et j'oscille entre John Keats
et Saadi,
entre Leconte Delisle et Baudelaire,
entre Pétrarque et Rimbaud!

En vérité, je tiens à la fois
du doux rêveur chrétien
et du fauconnier mahométan
ou du grand veneur de vautours
au service du sultan de Stamboul!

Il y a du Coriolan en moi,
et aussi du Hayreddin Barbarossa,
du traître romain
et du renégat grec,
et, en même temps de l'insurgé patriote,
voire du volontaire des guerres d'indépendance
dans tous les continents!

Mais, si je suis traître à ma terre,
c'est pour mieux me libérer
du carcan des croyances
qui unissent ma tribu
contre toutes les autres ethnies!

Grec, je me suis fait Turc,
afin de chanter mon pays
à travers la filigrane
de la calligraphie ottomane!
Amoureux d'Espagne, je me suis fait Maure,
afin de rétablir la beauté menacée
et Mexicain pour chanter la justice
devant le peloton d'exécution de l'envahisseur!

Et, c'est à peine pour moi
si José Marti, Ruben Dario
ou Pablo Neruda contredisent
un Nietzsche, ce négateur des patries!

Ô Bien-Aimée, dont le coeur bat
avec le même mouvement voluptueux
que le battant du bourdon de Notre-Dame
ou de la plus grosse cloche
de la cathédrale de Vienne,
et qui recules d'effroi
devant ma monstruosité de poète moderne,
repose en mon sein de vieil Anacréon,
il te guérira de ton doute,
tout en dulcifiant durablement
ton âme étonnée de ma confession,
arrachée par toi
de main de lune!


TURBAN DE PADISCHAH

RECUEIL INEDIT. AVRIL 2004