Le Chant De La Sagesse


Ô ma Bien-Aimée
à la taille droite comme un i,
onduleuse et fine,
comme le cou de neige d'un cygne,
aux yeux noirs et allongés,
aux joues comme des roses
du Rhodope,
aux fesses glissantes
comme des gemmes
sur les deux plateaux de cuivre rouge
d'une balance de joaillier arabe,
sache que mon seul désir,
dans cette vie,
est de m'épanouir dans la joie
et l'agrément de ta présence,
loin de la laideur des foules
inaccessibles à l'ivresse,
ne connaissant aucune échappatoire
à l'anecdotique et l'insignifiant,
ne s'évadant que dans les jeux
futiles et grossiers
et dans la musique des faubourgs,
une musique si loin
de la saveur prônée
par les maîtres indiens
et que véhiculent encore aujourd'hui
les chants berbères,
arabes ou persans!

Car ton amour est
l'amour d'une bédouine,
d'une maure, d'une touarègue
et d'une turcomane!

Brûlant au feu éclatant
de tes prunelles de braise,
je m'éloigne chaque jour un peu plus
du soi-disant art poétique
qui se confine à l'introspection!

À quoi bon, en effet,
sonder la si lymphatique
et la si adipeuse âme contemporaine?

Autant introduire la tête
dans le trou d'une fosse d'aisances,
autant analyser une tumeur cancéreuse,
autant quadraturer le cercle!

Non, ceci n'est pas de mon domaine!
Mon apanage à moi,
c'est la Bien-Aimée
à la bouche pleine de chansons,
de ces chansons que chantaient,
en se faisant accompagner elles-mêmes
au luth,
les odalisques du sérail
du Calife Haroun al-Rachid,
à Bagdad, cette demeure de la paix!

Foin de la philosophie
qui fonde la félicité du genre humain
sur le bien-être de l'homme ordinaire!
Il n'y a en elle que néant,
que non-être,
et que malaise,
cette maladie que seul
peut guérir le poète,
en faisant l'aumône de sa sagesse!

Pensons plutôt à préparer
la venue, parmi nous,
de l'extraordinaire étranger,
et, une fois arrivé,
réchauffons-le de notre chair,
comme font les adolescentes
d'Afrique et d'Orient
pour les hôtes de choix!

Plus que le confort britannique,
aimons l'aise arabe
qui consiste, par les soirées tièdes
de l'été, à s'asseoir sous les palmes,
sur un tapis du Khorassan,
et à réciter, tout en sirotant
le thé à la menthe,
des strophes voluptueuses,
ou à parler des choses fabuleuses
du temps passé,
essence de ce monde,
seule réalité vraie,
car seule princière,
et seule royale!

Ô Bien-Aimée de mon âme,
reste dans cette pose langoureuse
où t'a surprise le bonheur!

Vois l'aube poindre à l'horizon!
Bientôt, le Soleil d'Orient
brillera de tous ses feux,
et baignera ta robe moirée
comme les ports des tropiques!


ISLAM

EDITIONS ENCRES VIVES. NOVEMBRE 2004