Sagesse Mahométane


Si les infidèles et les impuissants
me reprochent de vanter à chaque aube
nouvelle les hanches des jeunes filles,
c'est qu'ils sont des ennemis d'Allah,
ce Dieu, à leurs yeux dangereux,
qui, connaissant les choses
mieux que nous autres mortels,
ne distingue guère
l'amour humaine de l'amour divine,
et sait que la première
fait partie de la seconde!

Pourquoi, donc, devrais-je
être las des charmes des adolescentes?

Par les étés torrides,
l'eau fraîche des sources,
n'est-elle pas toujours agréable
à l'altéré?

La vue des nues du printemps,
blanches comme le coton d'Egypte,
n'est-elle pas toujours plaisante
à l'oeil,
et ces mêmes nues
ne sont-elles pas délicieuses
à nos sens charmés,
quand elles deviennent pourpres
au couchant,
embrasées du feu d'Allah!
Le maître renonce-t-il jamais
à son aisance
et à son agrément?

Le seigneur qui sait vivre
se détourne-t-il des mets délicats
et du son voluptueux et harmonieux
des luths qui accompagnent,
ainsi que des amis,
ses repas?

L'imam sublime,
à l'esprit noble,
abdique-t-il jamais
son droit à la douceur des manières
et à la beauté?

Le pacha se refuse-t-il
à étancher sa soif d'amour
grâce à ses concubines,
blanches ou noires,
et le poète à humer,
à chaque matin,
une rose nouvelle?

Le scribe marin du roi
se lasse-t-il d'apposer son sceau
sur les ballots de marchandises
qui transitent par les ports de mer
du sultanat?

Le Turc oublie-t-il
d'aller, chaque après-midi,
fumer son narguilé
sur une terrasse de café,
sous les platanes de Dieu,
parmi les parfums des loukoums?

À l'heure de vérité,
le toréador s'interdit-il
de rêver à l'amour d'une femme
qui le regarde de ses yeux beaux
comme la nuit des délices
dans les jardins de Grenade?

Le marinier encore à la fleur de l'âge
abandonne-t-il la mer
et les voyages sur des nefs de santal
vers les îles
d'où il rapporte
du miel de camphrier,
du bois d'aloès chinois ou comari,
et des rubis
gros comme des oeufs de pigeon?

Le Tamoul magnifique
ne se nourrit-il pas,
tous les jours du Seigneur,
des cocos que la nature
lui prodigue en abondance?

Et Baudelaire,
ce lettré et docte poète,
si exquis et si pacifique
que ses concitoyens,
peu paisibles de nature,
le crucifient dans la rosace
de Notre-Dame,
ne s'enivre-t-il pas,
à chaque matin,
de la Malabaraise bien hanchée
qui lui allume la pipe
et lui apporte
les ananas et les bananes
au goût de félicité
et qui rendent le monde meilleur?

L'Islam pour le sage,
ne consiste-t-il pas
à honorer à chaque aurore
les présents qu'Allah
lui offre sans compter,
à travers la beauté
de ses créatures?

En revanche, l'incroyance
ne consiste-t-elle pas
à faire pénitence
et à jeûner, en dehors du Ramadan,
quand l'azur immaculé
nous appelle à la volupté,
qui, seule, conduit l'âme
à l'immortalité?


ISLAM

EDITIONS ENCRES VIVES. NOVEMBRE 2004