Des Poètes Tombés En Oubli.
En Souvenir D'Homère Békès.


Quand, assis devant la petite table de marbre
d'un café méditerranéen,
comme devant la pleine lune
en plein jour,
je fume voluptueusement, en bon Turc,
un narguilé parfumé
à l'encens du Yémen
et au santal des Indes,
diverses évocations du passé
se pressent aux portes de mon esprit
comme les vagues de l'océan
se brisent calmement
sur le rivage corallin,
cerclé de grands cocotiers
d'une île du Pacifique,
bénie par le Seigneur!


Parmi ces sensations passées
que j'évoque nostalgiquement,
car pour moi, comme pour tout auteur,
la vraie patrie est un pays lointain
que l'on regrette,
il y en a une
qui vient me visiter presque quotidiennement:
c'est le souvenir du vieux Lisbonne
et de cette colline du Castello
où s'étale, face à mes yeux
éblouis par le Tage,
l'antique quartier des Maures,
cette Alfama pareille à une casbah
aux venelles tortueuses
où, comme dans les couloirs longs
du labyrinthe crétois,
circulent ainsi que des ruisselets
artificiellement aménagés
dans un palais désuet d'Orient
les plus vieux fados
portés par les voix ardentes
des femmes et des hommes portugais
qui chantent les prunelles fermées
comme dans l'oubli de soi
d'une extase
et, comme dans la taverne universelle,
où l'on chante les lampes éteintes,
Dieu se souvient d'un vieux poète oublié,
et lève sa coupe de topazes jaunes
et de rubis,
en son honneur,
et invite les convives à boire,
en pensant à cet ami,
perdu de longue date,
mais toujours vivant!


Car, même si un poète
tombe en oubli,
victime d'un changement d'humeur
du peuple à son égard,
une fois disparu,
son âme reste présente parmi nous
comme une divinité immortelle,
et son esprit devient à jamais
une source vive
où s'abreuvent les Amazones,
seules fidèles,
et, avec elles, tous les héros,
et toutes les héroïnes!

Ô Békès, toi qui chantas
Alexandre le Grand
comme Firdoussi et comme Nizami,
ô toi, que de ton vivant
rongeaient les âmes viles,
aujourd'hui tu reposes
parmi les fleurs vénéneuses
de l'ingratitude et de l'oubli!


Mais ne sais-tu pas,
ô sage de Constantinople,
que toujours les vielles cités,
par lesquelles nous autres poètes
sommes passés,
se souviennent de nous,
car même les pierres
ont plus de mémoire
que les hommes!


Dors, maintenant, dans l'espérance,
ô poète vénérable
qui exaltas la race forte de l'Esprit!


Car, bientôt, les larmes
du Crucifié Libérateur
feront fleurir les blanches violettes
de la paix,
autour de ton tombeau,
où t'accompagnent les suffrages
des Vrais Vivants
d'hier et d'aujourd'hui et de demain!


EBLOUISSEMENTS

RECUEIL INEDIT. AOUT 2004