Le Pêcher
Ô pêcher, bel arbre de Chine,
c'est en Iran que tu donnas
les plus savoureux de tes fruits,
les enfants même
nés du douloureux labeur
des poètes persans,
ceux dont la venue au monde visible
était dictée par des voix
issues du jardin de l'Eden
où chantaient les houris
et dansaient les sages
enveloppés dans des mandorles de luths!
Oui, chaque fois qu'une pêche naît,
c'est qu'un saint ménestrel
y a imprimé son âme
et y a arraché
ses paroles sacrées!
Ô vous, hommes du peuple,
mordez les pêches,
vous y trouverez les larmes de Madjnoun
qui tant aima Leila
qu'il s'est métamorphosé en elle,
à la fois sujet
et objet de son amour,
sa Déesse,
et, en même temps, son humble esclave,
son propre soi piétiné et humilié,
jeté sur les chemins,
errant comme un loup affamé,
se nourrissant exclusivement de figues!
Oui, pour cet amoureux,
Leila, c'était Allah,
et il était lui-même Dieu!
Brûlez-moi, ô oulémas
et vous, savants docteurs d'Occident,
oui, brûlez-moi comme Sohrawardi,
car, comme lui,
je suis le prophète du soleil levant,
le philosophe de la lumière aurorale!
Ma chair est la chair tendre d'un prêtre,
du prêtre de la Mère des dieux
sur l'autel de qui il s'immole,
au milieu des fumées d'encens,
son corps oint de myrrhe de Chypre
comme Adonis,
et parfumé de tous les aromates d'Orient,
de gemme arabique
comme le benjoin d'Asie!
Non, jamais je ne me soumettrai
aux lois édictées par la gent superficielle,
car je suis, comme Omar Khayyâm
et comme Hafiz de Chiraz,
un poète d'Orient,
étranger à la dévotion des petits
comme à la bigoterie des grands!
Non, jamais je ne plierai le genou
devant le fétichisme d'Occident,
dont les effluves me parviennent massivement,
ou devant le fatalisme oriental!
Et qu'on ne parle pas
devant moi de Progrès!
Parle-t-on de corde
dans la maison du pendu?
Or, l'illusion de progrès
est la corde qui étrangle,
à l'heure actuelle,
la pauvre humanité,
en train de sacrifier
sa sainte liberté!
HECATOMBES DE LUMIERE
RECUEIL INEDIT. DECEMBRE 2004